Jean-Michel Geeraert : "Je m'interroge sur la réaction des agriculteurs"
INTERVIEW - Un projet de loi sur la réforme de l'assurance agricole a été présenté en conseil de ministres le 1er décembre. Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l'agriculture chez Pacifica, détaille les enjeux de cette réforme face à l'urgence climatique.
Pourquoi le marché a-t-il besoin d’une réforme de l’assurance agricole ?
Depuis 1967 et jusqu’en 2010, le régime de calamités agricoles permettait aux exploitants de percevoir une indemnité en cas de pertes liées à un évènement climatique. Depuis 2010, les grandes cultures et la viticulture ne peuvent plus y prétendre. En parallèle, en 2005, les assureurs ont mis en place, à la demande des pouvoirs publics, un système d’assurance qui permet aux exploitants agricoles de percevoir une indemnité non plus forfaitisée ou mutualisée mais une indemnité en pleine correspondance avec les pertes enregistrées sur chacune des fermes. L’assurance récolte était née.
L’assurance récolte couvre aujourd’hui, tous assureurs confondus, 30% des grandes cultures et 30% des surfaces en viticulture. Avec 70% des grandes cultures et viticultures non couvertes face aux aléas climatiques, l’agriculture française est en danger face à la fréquence et à l’intensité de ses évènements. Les experts promettent un doublement des intensités à l’horizon 2050, nous devons donc redoubler de vigilance. Le groupe Crédit Agricole a une responsabilité importante pour sécuriser la ferme France et lui permettre de consacrer ses investissements dans les changements de modèles de production coïncidant avec les attentes de l’environnement et des consommateurs. Cette réforme est importante et va permettre à toutes les cultures de profiter d’un nouveau système de gestion et d’indemnisation.
Les assureurs devront partager les données relatives aux contrats et aux sinistres, que pensez-vous de cette initiative ?
Dans le cadre de cette réforme, les assureurs vont bénéficier d’une délégation de service des pouvoirs publics pour la gestion de ces risques extrêmes. Ces derniers seront indemnisés directement par les pouvoirs publics. Sur ce premier niveau de risque, nous allons donc agir pour le compte de l’État, à la fois en matérialisant la garantie auprès de chacun des agriculteurs mais aussi en exerçant notre estimation des pertes auprès de chacun d’entre eux. C’est donc naturel de partager les résultats et les données de ces éléments là puisqu’ils appartiennent de ce fait aux pouvoirs publics. Concernant les seuils, ils devraient être dessinés dans les mois qui viennent.
Chaque année, les assureurs rendent au ministère de l’agriculture un rapport d’activité qui permet de partager les résultats, les cotisations, les franchises, l’évolution du portefeuille et la sinistralité de l’année. Ces données sont partagées avec le Comité national de gestion des risques agricoles, piloté par le Ministère de l’agriculture. Côté réforme, le dispositif mentionne la création possible d’un pool, qui représente une gouvernance plus transverse et élargie. Dans ce cas, les données pourraient être plus précises mais seront certainement assorties de conditions.
Et la création d’un pool, vous en pensez quoi ?
La question du pool est entre les mains du gouvernement. Néanmoins, je ne pense pas que ce pool soit fondamental pour démarrer. Lorsque nous regardons à l’étranger, il y a des pools qui ont mal vieilli et d’autres, comme en Espagne, qui sont très aboutis avec des pouvoirs publics qui décident du tarif, des primes, de la méthodologie indemnitaire et la définition des prestations de services. Dans ce cas les assureurs ne portent pas le risque et obtiennent une commission de gestion pour leur rôle de distributeur uniquement. Il ne semble toutefois pas que cela soit prévu de la sorte pour le modèle français. Si le pool se concrétise, il y a beaucoup de travail à faire afin d’homogénéiser les pratiques, les expertises et la matérialité des contrats. Si demain il faut se concerter et réunir toutes les données pour définir ensemble un tarif, c’est un autre sujet.
Ce que je sais, c’est que nous avons l’ambition de protéger la Ferme France. Nous devons tout d’abord nous pencher sur la parfaite articulation entre les niveaux gérés entre l’État et les assureurs. Il y a certaines mesures dont nous connaissons tous l’importance et nous nous devons d’être réactifs et au rendez-vous. Mais il y a aussi dans cette réforme, des mesures sur lesquelles nous ne sommes pas encore fixés et qui demanderont plus de temps et de travail.
Que planifiez-vous de mettre en place afin de sensibiliser les agriculteurs non-assurés ?
Le niveau de seuil de franchise accordé par les pouvoirs publics va être déterminant dans l’achat des garanties complémentaires. En arboriculture et en prairie, nous devrions rencontrer un bon niveau de succès. Sur ces deux secteurs, la franchise acceptée serait de 30% et les arboriculteurs percevraient 45% des pertes au-delà de cette franchise. Ils devront alors acheter une franchise entre 30% et 25% voire 20%. Pour les viticulteurs et les exploitants de grandes cultures, nous dénombrons un total de 30% d’entre eux déjà assurés. Pour les 70% restants, c’est un vrai pari. Ils n’avaient jusque-là pas de filet de sécurité particulier, mais demain ils en auront un. Il va falloir se doter d’outils afin d’expliquer la fréquence et l’importance des sinistres aux agriculteurs et leur faire accepter qu’ils ont tout intérêt à racheter des garanties complémentaires pour être sécurisés. La question qui se pose est de savoir si désormais équipés d’une garantie extrême, les agriculteurs vont s’équiper de garanties complémentaires ?
Est-ce qu’il faut s’attendre à une hausse des prix et à une baisse des couvertures de la part des agriculteurs ?
La subvention ne guide pas nos politiques tarifaires. Depuis 2016, nous avons enregistré un grand nombre de sinistres. Notre rapport sinistres à cotisations est d’environ 135%. Puisque l’agriculteur est subventionné à hauteur d’environ 65%, la couverture lui a coûté moins de 50 centimes. Je ne pense pas que les exploitants agricoles puissent baisser leurs niveaux de garantie. Les majorations qui seront appliquées en 2022 sont significatives parce que la situation n’est plus tenable.
Concernant le projet de loi, que va-t-il changer dans la relation assureur/réassureur ?
L’augmentation des cotisations est nécessaire pour limiter le désengagement des réassureurs et assoir la pérennité de cette offre dans la durée, lourdement déficitaire depuis plusieurs années en lien avec la fréquence des évènements climatiques. Nous avons tout intérêt à penser l’organisation entre assureurs et réassureurs. S’ils ne sont pas partie prenante de nos réflexions, alors notre travail ne suffira pas.
Quelle place pour CCR dans ce système ?
Nous pourrions imaginer qu’ils soient partie prenante dans le pool en termes de réassurance publique. Cela participerait de manière importante à conforter la confiance des réassureurs privés. Depuis les annonces du président de la République, nous travaillons sur tous ces sujets en coordination avec l’Apref. Nous avons plus que jamais besoin des réassureurs.
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