Joël Limouzin (FNSEA) : "L’assurance climatique fait partie de la gestion d’entreprise"

mardi 8 mars 2022
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INTERVIEW – Alors que la loi visant à réformer l’assurance agricole a été promulguée par le président de la République le 2 mars dernier, les discussions continuent entre Bercy, le ministère de l’Agriculture et les acteurs du secteur. Joël Limouzin, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants Agricoles (FNSEA), responsable de la gestion des risques climatiques et sanitaires et président de la chambre d’agriculture de la Vendée fait le point sur l’avancée des travaux. Il évoque les débats autour de la tarification, les prochaines étapes pour la fédération syndicale et le conflit en Ukraine.

Pourquoi encore si peu d’agriculteurs sont assurés aujourd’hui ?

La sous-assurance du secteur aujourd’hui varie selon les filières. Globalement, 17% des agriculteurs sont assurés. Par filière, les grandes cultures et la viticulture sont assurées à 30%. En élevage et prairie, ils sont uniquement 1% à avoir souscrit une assurance et en arboriculture uniquement 2 à 3%. Il se trouve que le système assurantiel climatique n’était pas considéré par certains comme un système pertinent. Pour certaines productions, les tarifs assurantiels étaient dissuasifs comme l’arboriculture et pour d'autres, les offres assurantielles n’existaient pas.

Les agriculteurs non-assurés se tournaient alors vers les responsables nationaux et un système de fonds de calamités agricoles qui était loin de compenser toutes les pertes. Ce système d’indemnisation a désormais atteint ses limites, surtout avec l’accélération des sinistres climatiques auxquels nous faisons face depuis plus de 5 ans maintenant.

L’épisode de gel en 2021 a-t-il joué un rôle d’accélérateur dans la promulgation de la loi visant à réformer l’assurance agricole ?

Les sinistres climatiques auxquels nous faisons face depuis plus de 5 ans ont amené les assureurs à intervenir quasiment tous les ans. Cela a provoqué des pertes financières pour les assureurs et une défaillance du système actuel qui n'était plus rentable. L’épisode de gel de 2021 a permis d’engager un travail de fond afin de mettre en place un dispositif qui s’appuie à la fois sur la solidarité nationale et l’assurance. Ce désastre (épisode de gel) a finalement conduit rapidement tout un secteur vers une réforme qui nous paraît aujourd’hui pertinente avec un système à trois étages. D’un côté, la responsabilité de l’agriculteur en intégrant un travail de prévention du risque, puis un système d'assurance et lorsque c’est trop important, l’intervention de l’État.

Qu’est-ce que cette loi va changer pour le secteur de l’agriculture ?

Aujourd’hui, notre vœu le plus cher est la possibilité d’obtenir une offre assurantielle pour l’ensemble des secteurs concernés à un coût accessible pour tous. Nous souhaitons également  que le monde de l’assurance puisse trouver un équilibre financier. Cette loi va donner une réelle incitation à s’assurer. Les producteurs de fruits et de prairies qui, jusque-là, ne voulaient pas entendre parler d’offre assurantielle, prennent aujourd’hui en considération ce qu’il se passe. Jusqu’ici pour bénéficier de l’assurance il fallait au moins avoir 30% de pertes, ce que les agriculteurs n’atteignaient pas forcément. L’intervention de l’assurance débutera désormais à 20%, c’est une vraie avancée pour les agriculteurs. Néanmoins, nous sommes conscients que l'assureur ne peut pas indemniser chaque année, c’est pour cela que la FNSEA insiste et insistera sur la prévention. Il y a un vrai travail de sensibilisation afin de faire comprendre à tous et surtout aux jeunes débutant dans le métier que l’assurance climatique fait partie de la gestion d’entreprise comme toute autre assurance.

Deuxièmement, il y avait jusqu’à présent un taux de subvention pour aider les agriculteurs dans le payement de la prime d'assurance climatique. Elle était de 65%. À partir de janvier 2023, ce taux est relevé à 70%. Le reste à charge pour l’agriculteur d'élève donc à 30% de la prime. Ce budget - qui est défini au niveau européen dans le cadre de la PAC -  s’élève à 186M d’euros chaque année en France et contribue à aider les agriculteurs dans le payement de leurs primes d'assurance.

Accouplée à la solidarité nationale, l’indemnisation des assureurs ne concerne qu'entre 20% et 30% des pertes agricoles, ce qui est assez faible et devrait permettre d’accroître leur capacité à offrir une assurance très compétitive aux agriculteurs.

Comment la réforme a-t-elle été accueillie par le secteur de l’agriculture ?

La réforme a été plutôt bien appréciée avec son nouveau montage. Bien évidemment, le résultat de cette loi c’est aussi l’émanation d’une réflexion que nous avions engagée à la FNSEA avec beaucoup de consultations locales, depuis presque 10 ans. Le système ne pouvait pas fonctionner avec seulement un système assurantiel d’un côté et un système de fonds des calamités de l’autre qui ne correspondait plus à la philosophie des exploitations telles qu’elles étaient. Les exploitations sont aujourd’hui diversifiées, sont multi-productions et donc le système n’était plus adapté. Nous voulions un système assurantiel par culture et qui corresponde à sa production. Le système de mutualisation inter-filières ne tenait plus.

Quelle est la prochaine étape pour la FNSEA ?

Nous avons désormais un gros travail de pédagogie à mener auprès des agriculteurs. La transparence et le guichet unique, c’est à dire le fait que l'assureur soit le seul interlocuteur, a convaincu. Il en va de même pour la partie solidarité nationale qui permet une simplification du dispositif, une rapidité d’expertise et d’indemnisation de façon à ce que l’agriculteur puisse repartir le plus vite possible après un sinistre. Tout cela représente aujourd'hui un panel d’ingrédients favorables à la promotion du dispositif assurantiel.

Notre rôle est désormais de faire un vrai travail d’explication grâce au réseau de la FNSEA qui est au plus proche des territoires et des communes. Nous allons organiser des réunions sur le terrain pour expliquer cette loi, sa mise en place et l’intérêt pour les agriculteurs d'y adhérer. Nous présenterons des exemples précis à partir d’une exploitation type afin de faire comprendre le coût mais aussi les bénéfices d’être couvert en cas de sinistre.

En ce qui concerne les prochaines discussions, nous sommes invités afin de discuter avec Bercy et la direction générale du Trésor pour définir la tarification. Il y a d’ores et déjà deux réunions qui ont eu lieu, une troisième aura lieu le 11 mars. En reste à charge pour les agriculteurs, la tarification peut démarrer à 4 ou 5 euros par hectare pour les prairies, jusqu’à 15 euros par hectare pour les grandes cultures et monter à 100 euros pour l’arboriculture ou la viticulture. Avec de tels tarifs, nous devons faire en sorte que les agriculteurs comprennent qu’il n'y a aucun risque à se lancer dans ce dispositif. C’est maintenant à Bercy et au ministère de l’Agriculture de prendre en compte tous les avis des agriculteurs, des syndicats, des chambres de l’agriculture et des assureurs.

Nous tentons également de définir de quelle manière va fonctionner le pool et comment le guichet unique va se coordonner. Nous espérons voir le sujet se clôturer au plus tard au mois de mai ou juin afin que les assureurs puissent avoir un document précis pour construire des offres assurantielles à destination des agriculteurs. Nous avons conscience du travail technique à réaliser, mais nous avons besoin que tout soit opérationnel pour janvier 2023.

Est-ce que le conflit en Ukraine change la donne ?

Ce conflit ukrainien nous a tous pris de vitesse. Pour la FNSEA, notre position est d’abord la solidarité pour les populations. Pour le reste, c’est une situation qu’on ne maitrise pas. Les premiers éléments de constatation sont les coûts de production qui sont en train d’exploser notamment pour les engrais, l’énergie et le prix des céréales. Ces deux pays avaient une vraie stratégie d’autonomie alimentaire, voire d’exportation. De ce fait, le conflit bouleverse les flux commerciaux depuis plus d’une semaine maintenant.

Nous avons eu des contacts avec le gouvernement et le président de la République qui a parlé d’un plan de résilience. Tout cela reste maintenant à travailler. Maintenant que la France préside l’Union Européenne, nous pourrions en profiter pour réajuster les orientations qui avaient été affiché avec le green deal, le farm to falk (De la ferme à la fourchette).

Je pense que ce conflit peut nous amener à une unité européenne pour faire bloc ensemble. La FNSEA travaille aujourd’hui avec les associations spécialisées pour bien comprendre comment les entreprises vont réagir. Le monde va devoir continuer à se nourrir malgré ce conflit et nous portons une attention particulière au risque de pénurie alimentaire, qui souvent est sujet à de nouveaux conflits.

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