Martin Landais : "L'assurance est clé pour protéger notre tissu économique"
TRIBUNE - Martin Landais, sous-directeur assurances à la direction générale du Trésor, considère que "les incertitudes qui pèsent sur les perspectives économiques obèrent la capacité d’anticipation des assureurs". Cette tribune est publiée dans notre magazine sur le Bilan 2022 de l’assurance.
Nous sommes entrés, en 2022, dans un moment de convergence de crises inédit dans l’histoire récente : crises climatique, pandémique, géostratégique, énergétique, économique.
Face à cette situation de « polycrise », pour reprendre le terme popularisé par l’historien américain Adam Tooze, la mission de mutualisation des risques de l’assurance est, plus que jamais, critique pour garantir la résilience de notre économie. Pour répondre à ces défis et offrir des solutions de protection au plus grand nombre, tout en jouant son rôle d’investisseur de long terme, le secteur de l’assurance devra continuer de s’adapter et d’innover.
Les incertitudes qui pèsent sur les perspectives économiques obèrent la capacité d’anticipation des assureurs. L’inflation rend plus incertain le coût des sinistres, la volatilité des marchés pèse sur la valeur des actifs. Dans le même temps, la nature des risques change. La numérisation de l’économie engendre de nouvelles vulnérabilités : les spécificités du risque cyber, son caractère évolutif et la prise de conscience encore hétérogène des entreprises sont autant de paramètres avec lesquels les assureurs doivent composer.
Au surplus, le coût annuel des catastrophes naturelles a doublé en une décennie. La sécheresse en 2022 devrait, à elle seule, coûter 2,8 milliards d’euros. à l’actif, les impacts du changement climatique continuent de se traduire par une pression croissante sur les placements investis dans des secteurs sensibles au risque de transition et dans les zones géographiques fortement exposées.
Dans ce contexte perturbé, les assureurs doivent pouvoir se projeter et relever les défis financiers à venir : avec plus de 2 600 milliards d’euros de placements, ce sont des investisseurs de long terme incontournables. Si la part des encours investis à destination des PME et ETI s’accroit, des marges de progrès subsistent : les investissements en capital-investissement ne représentent ainsi qu’un peu plus de 1% des investissements des assureurs-vie. Les assureurs sont au cœur du financement à long terme de notre économie, et ils le sont notamment à travers des initiatives de place structurantes. Les prêts participatifs et obligations Relance connaissent une bonne dynamique, portée par un engagement fort des assureurs, qui devrait pouvoir se confirmer en 2023. De même, après le succès de la première phase de l’initiative conduite par Philippe Tibi sur le financement des entreprises technologiques françaises, il apparaît impératif de maintenir cet élan pour financer et faire grandir nos start-ups.
La révision de Solva 2, de nouvelles perspectives
La révision de la directive Solvabilité 2, qui devrait aboutir en 2023, représente une opportunité unique de faciliter l’investissement à long terme dans les actions. L’accord trouvé au Conseil de l’Union européenne lors de la présidence française du premier semestre 2022 entend répondre à la nécessité de donner aux assureurs les moyens de jouer pleinement leur rôle dans l’économie, et dans les transitions écologique et numérique. Cet accord permet par ailleurs une meilleure coordination des superviseurs au sein de l’Union européenne, pour améliorer substantiellement le fonctionnement du marché commun de l’assurance. La stratégie pour l’investissement de détail de la Commission européenne, qui sera présentée début 2023, sera aussi l’occasion de dresser le bilan des pratiques de distribution d’assurance et, je le souligne, d’améliorer la transparence et la prévention des conflits d’intérêts : c’est une ardente obligation pour écarter les tentations de suppression totale des commissions.
Une réforme Cat'Nat' nécessaire
Le secteur de l’assurance est évidemment un acteur clé pour protéger notre tissu économique face aux défis environnementaux et aux risques émergents. Face à l’augmentation de l’intensité et de la fréquence de ces évènements, le régime des « Cat Nat » doit poursuivre sa modernisation pour répondre à l’enjeu de solidarité nationale inscrit dans la Constitution, tout en garantissant la pérennité du régime. Le décret d’application de la loi « Baudu », publié le 31 décembre 2022, prévoit ainsi la prise en charge des frais de relogement d’urgence. Les travaux se poursuivront début 2023 sur le sujet du retrait-gonflement des argiles, qui représente désormais en moyenne la moitié des coûts du régime Cat Nat. En outre, une réforme d’ampleur de l’assurance récolte, qui repose sur un partage équitable du risque entre l’État, les agriculteurs et les entreprises d’assurance, entrera en vigueur dès 2023 afin d’augmenter fortement le nombre d’exploitants agricoles assurés.
Enfin, le risque cyber demande une implication de tous les acteurs, publics et privés, pour trouver le juste équilibre entre simplicité des règles et protection des consommateurs. Une task force dédiée à la mise en œuvre du rapport de la direction générale du Trésor publié en septembre 2022 a été constituée afin de promouvoir l’émergence du marché de l’assurance du risque cyber. A cet égard, les dispositions sur les captives de réassurance de la loi de finances pour 2023 viennent apporter un nouvel outil de résilience à nos entreprises, en particulier pour le risque cyber.
Dans un environnement marqué par l’incertitude, le secteur de l’assurance doit poursuivre les efforts d’ores-et-déjà accomplis pour protéger les françaises et les français. Les pouvoirs publics continueront résolument à accompagner cette transition qui doit permettre aux assureurs de disposer des moyens pour appréhender les mutations technologiques et environnementales et contribuer à façonner les contours d’une assurance qui réponde aux grands enjeux de la société d’aujourd’hui et de demain.
Martin Landais, sous-directeur assurances à la direction générale du Trésor
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