Pierre François : "Nous demandons un report de la résiliation infra-annuelle"

jeudi 4 juin 2020
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INTERVIEW – Pierre François, vice-président de la commission des assurances de personnes de la Fédération française de l’assurance et directeur général de SwissLife Prévoyance et Santé, revient sur les impacts de la crise du coronavirus en santé et prévoyance, commente l’avis de la CNIL sur les codes détaillés et fait part de la demande des acteurs de la place de reporter la résiliation infra-annuelle 

Quel est l’impact de la crise actuelle sur les organismes complémentaires ?

L’écrasante majorité des organismes a été efficace ; ils ont démontré leur capacité à continuer leurs activités en cette période inédite et ce, grâce à l’efficacité du télétravail mis en place. En santé, nous avons enregistré moins de sinistres, soit une baisse estimée entre 50 et 70%. Aujourd’hui, nous constatons une bonne reprise notamment en optique, avec un niveau d’activité atteignant les 100%. En dentaire, les consultations reprennent lentement car les contraintes sanitaires sont plus strictes. Enfin, en pharmacie, le volume des remboursements s’est maintenu.

Et en prévoyance ?

En prévoyance, la période a été assez dense sur les sinistres particulièrement sur la prise en charge de certains arrêts de travail. À cet égard, il y a eu pas mal de débats sur la couverture des arrêts de travail dérogatoires pour garde d’enfant : lesdits arrêts ne sont pas dus à une altération de l'état de santé des assurés et de fait, ils ne sont pas couverts par les assureurs. Les contrats de prévoyance couvrent les problèmes de santé mais cela est mal perçu par les assurés à l’instar des pertes d’exploitation, qui ne sont pas prises en charge dans le cadre d’une pandémie – cela est contractuel.

Quel sera l’impact des arrêts de travail dérogatoires pour le marché, sachant que depuis le 1er mai, ces arrêts ont basculé vers un mécanisme de chômage partiel ?

Les contrats avec des franchises longues n’ont pas été impactés par les arrêts de travail des personnes dites vulnérables. En revanche, l’assureur devra payer pour les salariés couverts par des contrats de mensualisation. Enfin, en collective, la majorité des salariés est passée en chômage partiel.

Sur les TNS, en revanche, il y a eu un impact. La majorité des assureurs n’a pas pris en charge les arrêts pour garde d’enfant mais a cependant couvert les arrêts des personnes vulnérables ; précisons qu’il s’agit d’une mesure extracontractuelle représentant une centaine de millions d’euros incluant les prorogations desdits arrêts.

Avez-vous des inquiétudes sur l’encaissement des cotisations ?

Il est encore tôt pour mesurer l’ampleur des demandes de report de cotisations. Les premières demandes sont arrivées courant avril et ne concernent que le premier trimestre ; elles représentent moins de 20% de nos entreprises clientes. Il faudra attendre la mi-juin pour évaluer l’impact sur le deuxième trimestre. À ce titre, la balance entre les cotisations perçues et les prestations versées ne peut pas être encore estimée.

Par ailleurs, les entreprises des secteurs hôtels, cafés et restaurants, du tourisme et du spectacle seront les plus touchées, ce qui aura pour conséquence des faillites ; nous avons déjà constaté une très forte hausse du chômage en avril, ce qui induira un impact sur la portabilité des droits ; le coût de la portabilité est estimé entre 3 et 5% des primes : si le chômage continue à augmenter, le coût de la portabilité pourrait doubler.

Enfin, la Covid-19 a eu un impact significatif sur les produits financiers – en considérant également la baisse des actifs des assureurs impactant la rentabilité et cela perdure. À noter que les contrats d’assurances tels que la RC, la prévoyance ou l’assurance automobile sont très sensibles aux marchés financiers.

Que pensez-vous de l’avis de la CNIL à propos des codes LPP ?

L’avis de la CNIL est assez clair sur les actes du 100% Santé. En optique, il faut savoir que seulement 10 à 15% de l’activité est liée au 100% Santé. Concernant les autres données, nous allons donc discuter avec la CNAM et la DSS pour leur expliquer que nous pouvons garantir les règles de confidentialité et que notre rôle ne se limite pas seulement à rembourser des soins.

À ce propos, même le régulateur nous demande, dans le cadre prudentiel dit « Solvabilité 2 », de produire une série de documents, de prévenir les risques, de mettre en œuvre des études de volatilité et d’avoir suffisamment de fonds propres. Nous avons besoin de toutes ces données, sur les caractéristiques des verres et sur la correction, par exemple, pour répondre au mieux aux besoins de nos clients et afin de lutter également contre la fraude. La fraude peut provenir aussi bien de l’interne, que du client, du professionnel de santé ou du fournisseur – il ne faut pas stigmatiser un maillon plus qu’un autre.

Notre rôle, dans ce cadre, est d’anticiper la fraude au bénéfice de la communauté d’assurés. C’est une question d’efficacité. L’objectif n’est pas de rejeter les demandes de prise en charge, ni de faire de la sélection médicale – cela est strictement interdit – ni encore moins de résilier des contrats, mais d’anticiper les risques dans le futur.

D'un point de vue opérationnel, comment vous faites aujourd’hui sans les codes détaillés ?

L’avis de la CNIL concerne la transmission des codes détaillés par la CNAM aux organismes complémentaires. Nous souhaitons que cette dernière puisse recueillir le consentement des assurés. Aujourd’hui, les réseaux de soins ont accès à un bon nombre d’informations détaillées, grâce aux accords contractuels conclus avec des professionnels de santé.

Quelle sera la place des assureurs dans le cadre de la création d’une cinquième branche sur la dépendance ?

Nous allons étudier cela et demander à participer à la préparation de ladite branche ; nous souhaiterions intervenir en complément mais s’agissant d’une branche appartenant à la Sécurité sociale, nous serons, a priori, dans un pilotage paritaire.

Comment se présente l’entrée en vigueur de la résiliation infra-annuelle ?

Suite à la crise du coronavirus, et comme le délai de mise en œuvre était déjà un peu court, les trois familles d’organismes complémentaires (la FFA, la Mutualité Française et le CTIP), ont demandé à la Direction de la Sécurité Sociale de reporter, de six mois, l’entrée en vigueur de la résiliation infra-annuelle, initialement prévue au 1er décembre 2020. Nous attendons la réponse à cette demande.

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