Pierre Mayeur : « Le rapport Libault est contradictoire sur l’assurance dépendance »
INTERVIEW - Pierre Mayeur, directeur général de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (Ocirp) considère que le rapport Libault est contradictoire parce qu’il veut favoriser l’assurance dépendance facultative et en même temps conditionner son exonération fiscale.
Que pensez-vous des propositions du rapport Libault sur la perte d’autonomie ?
C’est un travail remarquable et très riche, fruit d’une concertation. Sur la partie financement, je pense que le rapport n’a pas été bien compris. Il dit que l’assurance privée obligatoire n’est pas une solution, et qu’il faut aller vers la prise en charge globale d’un risque de protection sociale. Beaucoup d’observateurs ont pensé que cela voulait dire que la dépendance deviendra le cinquième risque de la Sécurité sociale. Or, ce n’est pas ce que dit ce rapport.
Pour faire face au reste à charge sur les frais d’hébergement en Ehpad, le rapport propose une allocation dégressive de 300 euros maximum pour les personnes âgées dépendantes qui ont entre 1.000 et 1.600 euros de revenus par mois. En revanche, rien n’est prévu pour les personnes ayant plus de 1.600 euros de revenus, soit la médiane des retraites en France.
Que pensez-vous de la proposition 164 du rapport Libault ?
Le rapport écarte la solution de l’assurance privée obligatoire, mais encourage le développement des assurances privées facultatives.
Le rapport propose aussi d’encadrer ces assurances dépendance privées. Vous y êtes favorable ?
Reprenons le rapport. Il propose de créer des “mécanismes de revalorisation clairs permettant d’éviter l’érosion du pouvoir d’achat de la rente ». Nous sommes pour. Nous sommes également favorables à “une meilleure continuité et une plus forte transférabilité des droits acquis dans le cadre de couvertures viagères”, le contrat Ocirp a points permet de le faire. Ensuite, nous sommes favorables à l’“harmonisation des référentiels de perte d’autonomie, voire d’une ouverture automatique des droits parallèlement aux droits APA”. En effet, nous sommes pour l’utilisation de la grille AGGIR, à partir du moment où l’on se concentre sur la dépendance lourde, Girs 1 et 2. Sur le Gir 3, cela se discute. Pour la dépendance moins lourde, en revanche, c’est moins vrai parce que la moitié des gens qui ont l’APA sont en Gir 4, avec des niveaux de dépendance très différents selon les marges de manœuvre du département en fonction des époques. Enfin, sur « l’encadrement des pratiques de gestion de l’anti-sélection, et notamment des pratiques de sélection médicale », nous sommes également d’accord, car notre contrat est sans sélection médicale.
Le rapport veut conditionner l’exonération de la TSCA au respect de ces conditions. Qu’en dites-vous ?
Aujourd’hui, nous avons une exonération de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance et le rapport semble indiquer qu’il faudrait respecter un certain nombre de règles pour continuer à y avoir droit. Cette proposition n’a jamais été abordée dans le groupe financement lors de la concertation du rapport Libault. Je trouve contradictoire de vouloir à la fois favoriser les produits d’assurance facultative et en même temps conditionner le maintien d’une exonération fiscale au respect de certaines conditions.
Si on veut singer les contrats responsables, c’est non. En revanche sur le fond, nous sommes pour une assurance dépendance plus lisible et évoluant dans un cadre clair et homogène.
Comment créer un cadre clair et homogène sans imposer des règles communes ?
Il n’y a pas besoin de faire des contrats responsables. Il suffit de faire une charte de l’assurance dépendance qui serait portée conjointement par les pouvoirs publics et par les assureurs, parce que le label GAD a été porté uniquement par les assureurs.
Êtes-vous favorable à la généralisation des services pour les aidants ?
En effet, le rapport préconise la généralisation des services d’assistance mobilisables dès la souscription du contrat d’assurance (aide psychologique, information, assistance téléphonique, voire financement d’une solution de répit). Les garanties seraient ouvertes dès que l’assuré devient aidant. Si vous voulez intéresser les gens à la dépendance, il faut pouvoir les convaincre en tant qu’aidants. Les gens bien portants ne savent pas s’ils vont bénéficier des garanties de dépendance dans l’avenir, mais à court terme ils vont pouvoir bénéficier des garanties en tant qu’aidant dès la souscription du contrat. Le couple aidant-aidé est très intéressant.
La FNMF voulait une assurance obligatoire, la FFA voulait intégrer des garanties dépendance dans l’assurance habitation... Est-ce que les différentes familles d’assurance parlent d’une même voix en matière de dépendance ?
Il faut reconnaître que nous avons des visions qui peuvent être très différentes. Je pense que l’État a joué du foisonnement des réponses des familles d’assurance pour nous dire que nous n’étions pas matures. Nous étions dans le cadre de cette concertation, dans le temps des expressions séparées. A l’automne, quand le gouvernement va expliquer quels sont les supports législatifs pour aborder la question de la perte d’autonomie, nous aurons intérêt à parler d’une voix plus commune.
Quelle serait cette position commune ?
Je pense, pour ma part, que nous pouvons travailler sur les conditions qui sont posées dans le cadre de la proposition 164.
Que pensez-vous de l’idée portée par les mutuelles d’assurance de vendre une garantie d’adaptation du domicile dans le cadre de l’assurance habitation ?
Les mutuelles d’assurance veulent commercialiser des garanties dépendance en complément des offres habitation. Les mutuelles de fonctionnaires ont essayé aussi avec la complémentaire santé. Cela me paraît un peu compliqué d’adosser des garanties de façon intégrée. Je ne pense pas que cela puisse apporter une réponse aux objectifs de mise en place d’un marché d’assurance dépendance mature.
Pensez-vous que ces solutions sont à la hauteur des enjeux financiers de la perte d’autonomie ?
Une personne en perte d’autonomie aura toujours un reste à charge. Donc ce sont des solutions forfaitaires, car une solution indemnitaire sur des dépenses réelles serait trop chère à financer. Les assurances qui proposent une rente mensuelle de 200 ou 300 euros me paraissent insuffisantes. Il faut plutôt viser des rentes d’au moins 500 euros.
Comment se porte l’assurance dépendance ?
L’Ocirp a réalisé 15 millions d’euros de chiffre d’affaires en assurance dépendance collective et 1,6 million d’euros en assurance dépendance individuelle en 2018. Depuis quelque temps, nous sommes en stagnation. En assurance individuelle, nous enregistrons environ 1.000 nouveaux contrats par an et très peu de résiliations. La dépendance n’est pas une demande des organisations professionnelles. En revanche, le sujet des aidants peut être un très bon levier pour commencer à comprendre les enjeux du vieillissement parce que cela parle à tout le monde.
Vous avez lancé en octobre 2018 la garantie collective Ocirpaidants, qui prévoit à la fois des services d’assistance et une aide financière de jusqu’à 2250 € par an pour soutenir les aidants d’un proche en situation de perte d’autonomie. Quel bilan en faites-vous ?
Des entreprises ou des branches ont été dans une position d’attentisme par rapport à ce que peut faire le gouvernement sur le sujet des aidants. Nous avons présenté la garantie à nos membres et à certains négociateurs de branche, mais à ce stade aucun contrat n’a été signé. Nous sommes confiants pour que la garantie soit intégrée au moins dans une branche au 1er janvier 2020.
A qui s’adresse cette garantie ?
Elle est très pertinente pour les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas encore d’accompagnement spécifique pour les aidants. La cotisation démarre à 0,10% du plafond de la Sécurité sociale, soit 3,30 euros par mois. Cette cotisation évolue en fonction du nombre de jours de congé aidant et de leur valeur.
La ministre Agnès Buzyn a annoncé que des mesures seront proposées à l’automne en faveur des aidants, suivant les préconisations du rapport Libault. Allez-vous adapter la garantie Ocirpaidants ?
Aujourd’hui, le congé proche aidant n’est pas indemnisé du tout. Le gouvernement va probablement proposer une indemnisation des jours de congé des aidants sur la base de l’allocation journalière de présence parentale, de l’ordre de 50 euros par jour. C’est donc une indemnisation forfaitaire offerte au salarié aidant sur la base du SMIC. Ce congé aidant rémunéré pourrait être adopté dans le Projet de loi du financement de la sécurité sociale pour 2020, mais à ce stade nous sommes dans la conjecture.
Nous pensons que notre garantie peut venir compléter de manière utile cette première aide qui repose sur la solidarité nationale. Cette indemnisation sera forcément insuffisante pour un grand nombre de salariés. Notre garantie complémentaire a donc tout son sens.
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