PORTRAIT – Philippe Perrault, président de la Macif, raconte sa jeunesse forgée par la lutte ouvrière, sa renaissance professionnelle et sa foi immense dans la capacité des femmes et des hommes de se réinventer.
Pour Philippe Perrault, homme de « tchatche » et de contact, le confinement a été une tannée. Cette période d’isolement révolue, le président de la Macif nous reçoit en manches de chemise dans son bureau place Etienne Pernet, dans le 15ème arrondissement de Paris. Derrière sa barbe blanche bien taillée, il raconte avec les yeux pétillants son enfance dans le Pas-de-Calais.
Né à Boulogne sur Mer en 1955, Philippe Perrault grandit à Étaples sur Mer au sein d’une famille ouvrière « très aimante ». Son père ébéniste travaille comme ouvrier au sein d’un atelier puis devient formateur en menuiserie pour des enfants handicapés. Militant CFTC, son père était souvent pris par ses engagements syndicaux mais « cette absence était compensée par une mère très présente ». Philippe Perrault est très calé en histoire du syndicalisme et revient sur la déconfessionnalisation de la CFTC et la naissance de la CFDT en 1964. Le jeune Philippe Perrault défile dans la rue pour la première fois à 13 ans. Nous sommes en mai 68 et l’onde révolutionnaire se répand jusqu’à sa petite ville de pêche.
Un choix par défaut
Après l’école, Philippe Perrault ne se pose pas trop de questions et part suivre un CAP pour devenir électromécanicien. « Dans mon schéma, il fallait avoir un diplôme et partir vite travailler pour participer à la défense des salariés », indique-t-il. Son secteur est touché de plein fouet par le choc pétrolier de 1970 et il se retrouve 6 mois au chômage en début de carrière. Faute de mieux, il accepte de devenir « lignard » chez un sous-traitant d’EDF. Monter très haut sur les poteaux, creuser des tranchées, tirer du câble dans des conditions de sécurité approximatives, encaisser le bizutage des collègues endurcis par l’effort. « Je ne me faisais pas cette idée du travail, c’était dur, je n’étais pas fait pour ce métier », déclare Philippe Perrault.
Casser des cailloux
« Si tu n’as pas de diplôme, tu iras casser des cailloux », lui disait son père quand il était gamin. Mais malgré ses compétences en électricité, il se retrouve relégué au plus bas de l’échelle. Cette expérience ne dure qu’un an mais suffit à Philippe Perrault pour bâtir une conscience syndicale construite sur un terreau familial fertile.
Même pendant son service militaire, il se bat pour améliorer les conditions de vie de ses frères d’armes et obtient la permission de ses supérieurs pour pouvoir sortir le soir.
De retour dans la vie active, il poursuit sa carrière dans le secteur minier puis il rejoint une usine de fabrication de moteurs de 6.000 salariés. Pour nourrir sa famille, il accepte de faire les 3/8 comme chauffagiste. C’est dans cette société, éreinté par le travail de nuit, qu’il prend des responsabilités syndicales et se spécialise dans la formation continue professionnelle.
Une deuxième chance
Philippe Perrault est déterminé à améliorer son sort. A 32 ans, il passe le ESEU (examen spécial d’entrée à l’université) et repart sur les bancs de la fac. Philippe Perrault décroche une maîtrise des sciences de l’éducation avant de poursuivre par un DESS en ingénierie de la formation.« J’ai découvert que grâce à la formation continue, on peut avoir une deuxième, une troisième, une quatrième chance. Pourquoi dans la vie on ne favorise pas les reconversions ? J’ai beaucoup milité pour ça pour prouver aux gens qu’ils étaient toujours capables de progresser ».
Aider les gens à se réinventer
Pendant 8 ans, il est secrétaire général de la CFDT du Nord Pas de Calais et membre du bureau national. Il accompagne plusieurs fermetures d’usines textiles comme Levi’s. Face au traumatisme de certains salariés, il les incite à investir la prime de licenciement pour se reconvertir. « Les salariés pensaient qu’ils ne seraient pas capables de faire d’autre chose que de coudre des fermetures éclair sur des jeans, mais on les a motivés pour se réinventer. Un comédien réunit des anciennes ouvrières de Levi’s et monte une pièce de théâtre, « Les mains bleues ». Grâce au licenciement, certaines se sont découvert une vocation de comédiennes et ont poursuivi cette voie », illustre Philippe Perrault.
Philippe Perrault décide qu’il n’ira pas au-delà de deux mandats au sein de la CFDT. Le président de la Macif Nord-Pas de Calais, Dominique Crépel, vient le chercher pour devenir administrateur et président de région. « J’ai hésité car je voulais rester dans ma région et j’avais la possibilité de présider une commission de reconversion au sein du conseil régional. Finalement, j’étais syndicaliste avant tout et Dominique Crépel a été plus convaincant ».
Après 12 ans comme administrateur, et 4 ans comme président de la région Nord, Alain Montarant, le président de la Macif, lui demande de devenir vice-président. Il voit en lui un « leader naturel » qui a réussi à mobiliser les troupes dans sa région et saura faire de même au niveau national. « J’aime aider les gens, dans une démarche d’écoute et de respect des autres. Quand vous êtes convaincu, vous entraînez », commente-t-il.
Philippe Perrault est élu président de la Macif au moment de la création du groupe Aéma, en janvier 2021. Il s’attache à offrir une protection au juste prix et est heureux de présider une entreprise qui s’adapte aux besoins du sociétaire et ne force pas la vente. « On n’a pas d’actionnaires à rémunérer et nous sommes les représentants des sociétaires », répond-il, en toute simplicité. « Notre marge de manœuvre c’est de faire en sorte d’être équitable sur les réponses qu’on peut apporter à l’ensemble des sociétaires suivant leur situation. Nous faisons en sorte qu’ils ne prennent pas le bouillon. Si notre pays était gouverné comme l’est la Macif aujourd’hui, il irait beaucoup mieux », conclut-il en toute modestie.
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