Reportage : L’expertise sinistre à la loupe... binoculaire
REPORTAGE - La relation client est devenue un élément crucial de la stratégie des assureurs et des courtiers. Et plus particulièrement, la gestion de sinistres, moment clé de la vie du contrat. Au-delà de l’expertise classique, GM Consultant s’est positionné sur la recherche des causes d’un sinistre et dispose pour cela d’un laboratoire dont, il nous a ouvert les portes.
Au premier abord, l’immeuble devant lequel nous avons rendez-vous à Courbevoie est d’apparence commune. Un bâtiment d’habitation comme nous en avons croisé plusieurs dans la rue. Devant, nous attend Olivier Richard, directeur technique de GM Consultant, groupe spécialisé dans la gestion de sinistres.
Il nous invite à le suivre. Nous lui emboîtons le pas et descendons dans un entresol de l’immeuble. Derrière une lourde porte se cache un espace de 300m2 où se côtoient un laboratoire d’expertise industrielle et une cellule dédiée au risque cyber. Nous sommes rejoints par Pierre Monsallut. Il a troqué sa vie d’expert d’assurance sur le terrain pour celui de laborantin. Depuis maintenant 6 ans, il dissèque et analyse appareils électroniques en tout genre, petits mobiliers ou produits agro-alimentaires, à la recherche de causes de dysfonctionnement ou de contamination.
16 dents cassées
C’est le cas de cette perceuse-perforatrice désossée gisant au pied d’une armoire du laboratoire. « Elle fait l’objet d’une bataille d’experts depuis 6 mois », souligne Pierre Monsallut. Il la soupçonne d’être à l’origine d’un accident corporel. L’outil permet de passer du mode perceuse au mode perforatrice en enclenchant un simple bouton. « Il ressemble à s’y méprendre à un outil de professionnel, à ceci près qu’il ne coûte que 29 euros », précise Olivier Richard. La personne qui a été blessée l’utilisait en mode perforatrice lorsque le mode perceuse s’est mis en route. Comme le foret était coincé dans le mur, c’est le manche qui a tourné sur lui-même, heurtant le visage de la victime. Bilan, 16 dents cassées. Toute la difficulté dans le cas présent est de déterminer s’il s’agit d’une mauvaise manipulation, ou d’un véritable défaut de conception.
D’abord positionné sur l’expertise sinistre classique, GM Consultant, s’est peu à peu doté d’un laboratoire pour analyser les causes des sinistres. « Nous nous sommes aperçus que nos préconisations pour aller plus avant dans la recherche des causes de sinistres étaient rarement suivies. Notamment parce que passer par des laboratoires traditionnels coûte assez cher. Parfois, il suffit pourtant simplement de prendre un tournevis pour comprendre pourquoi un appareil commence à chauffer par exemple », détaille Olivier Richard.
Du coin de bureau au laboratoire dédié
C’est d’abord sur une table de bureau que les ingénieurs du cabinet ont débuté avant d’investir dans différents appareils comme des microscopes ou encore des duromètres pour approfondir les analyses. Elles permettent d’orienter les investigations sur les causes des sinistres et d’affiner l’évaluation des risques pour les assureurs, les courtiers et les risk managers.
Aujourd’hui, le cabinet gère 17.000 sinistres professionnels par an. « A plus de 90% nous sommes mandatés par les assureurs », souligne le directeur technique. La grande partie des sinistres concerne des incendies déclenchés par des court-circuits électriques sur des petits appareils électroménagers. « Beaucoup de nouveaux produits sont régulièrement mis sur le marché avec une concurrence impitoyable et une recherche des coûts les plus bas possibles ».
La mondialisation a facilité le négoce qui consiste à importer des produits d’Asie, à y apposer sa marque et à les vendre en France. « Le savoir-faire des industriels asiatiques est rarementen question. Mais plutôt la recherche du coût le plus bas, et les manquements dans le suivi qualité », estime M. Richard.
« La plupart des incendies ont un enjeu financier assez faible. Et l’expertise peut donc s’arrêter assez rapidement dans le processus d’indemnisation. En revanche, l’industriel peut s’interroger sur les risques liés à son produit s’il est à l’origine de l’incendie. Tout comme l’assureur ou le courtier qui souhaitent écarter un risque sériel », explique Olivier Richard. L’objectif est de limiter le risque d’image, voire d’éviter les risques de poursuites pénales si le sinistre devait être lié à un défaut de fabrication.
Retrait ou rappel de produits
Ce fut le cas de cette chaise d’arbitre de tennis qui trône au milieu du laboratoire (photo ci-dessous). Là aussi, bien que répondant aux normes de fabrication, elle est à l’origine d’un accident corporel. L’escalier a cédé lorsqu’une personne est montée sur l’échelle pour s’installer sur la chaise. Cette fois-ci rien de grave pour la victime. « Bien souvent les normes nationales mises en place pour encadrer la fabrication de produits ne prennent pas en compte leur utilisation dynamique, constate Pierre Monsallut. Ici la visserie située à la jonction de la chaise et de l’escalier a fini par céder après plusieurs utilisations ».
[caption id="attachment_544648" align="aligncenter" width="620"] Cette chaise pour arbitre de tennis a atterri dans le laboratoire après qu’une personne a eu en accident en voulant s’installer. Elle s’apprête à passer un test d’endurance. Elle ne résistera pas. Le fabricant devra ajouter une pièce pour la renforcer et la sécuriser. DR. News Assurances Pro[/caption]La chaise en question va donc passer un test de résistance à l’effort. Une chaîne reliée à un vérin est accrochée à l’un des barreaux de l’échelle. Une machine actionne le vérin pour simuler la pression exercée sur l’ensemble de la structure lorsqu’une personne monte. Rapidement, le point faible est en effet identifié.
Selon la nature du sinistre, une préconisation de retrait ou de rappel de produit est adressée à l’assureur et à l’industriel. Dans le cas présent, les chaises ont toutes été rappelées et un renfort a été posé à l’endroit qui avait lâché.
Il arrive parfois qu’un défaut de conception ait des conséquences plus tragiques. Comme avec cet escalier de grenier (photo ci-dessous). Vendu à un petit prix en magasin de bricolage, il est à l’origine du décès d’une personne.
[caption id="attachment_544646" align="aligncenter" width="620"] Une personne est décédée en utilisant cet escalier de grenier. En cause, les lames de fer que tient Olivier Richard dans ses mains Elles doivent le retenir quand il est déplié. Mais après quelques utilisations seulement, elles finissent par céder.[/caption]En cause : l’arrêtoir censé retenir l’escalier lorsqu’il est déplié et qu’une personne monte dessus. Un ergo doit en effet venir heurter un petit cadre en fer pour bloquer l’escalier. Mais taillé trop finement, le cadre finit par se déformer et laisser glisser l’ergo. Lorsqu’une personne l’emprunte, l’escalier s’effondre. C’est ce qui est arrivé à une personne qui, après plusieurs semaines passées dans le coma, est décédée.
Inquiétudes sur les appareils à batterie et les drones
Les normes ne permettent donc pas de prévenir tous les incidents. Les risques sont par conséquent beaucoup plus prégnants sur les nouveaux produits qui ne font pas encore l’objet de normes. Ce fut le cas des siphons à chantilly qui pendant longtemps n’étaient pas normés. « Dans le monde industriel, à partir de 0,5 bar, il est imposé des contrôles réguliers sur les équipements de pression. Un siphon à chantilly c’est 15 bars et lors de la commercialisation au grand public, il n’existait pas de normes », illustre Olivier Richard.
« Aujourd’hui, nous avons beaucoup de cas d’appareils fonctionnant sur batterie avec l’explosion du marché des vélos, motos, trottinettes électriques ou autres hoverboard. Nous constatons également des sinistres autour des drones. Le marché est en plein boom, mais la question de la fiabilisation du matériel et de la réglementation est soulevée. Il faudra s’attendre à une recrudescence des sinistres en responsabilité civile », poursuit le directeur technique.
Pour réaliser ses expertises, GM Consultant compte 120 ingénieurs, dont 5 dédiés au risque cyber. Une activité en pleine croissance sous l’effet de la montée en puissance de la cybercriminalité. Il s’agit là de gérer les incidents des assurés, mais également de réaliser des audits dans les entreprises et de réaliser des tests d’intrusion dans les systèmes informatiques pour déterminer l’ampleur des failles. « La prise de conscience du risque cyber demeure encore faible dans les petites entreprises », indique Thibault Carré, consultant en sécurité informatique de GM Consultant.
D’autant que les pirates améliorent très rapidement leurs techniques. Le laboratoire dispose d’un ordinateur branché sur réseau internet fermé qui permet de tester des virus et ainsi de trouver les parades en cas de fraudes chez les clients des courtiers ou des assureurs. « Une attaque est une course contre-la-montre, avec à la clé, parfois une demande de rançon. Nous restons neutres sur son paiement ou non. Mais lorsque le client souhaite la payer nous l’accompagnons », conclut Thibault Carré.
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