Mobilités : Vide juridique et assurantiel autour des trottinettes
Le 11 juin dernier, un jeune homme trouvait la mort dans un accident de trottinette à Paris. Une tragédie qui est venue rappeler le danger que représentent ces nouveaux véhicules, véritables casse-têtes pour les assureurs.
Les trottinettes ont envahi le territoire urbain des grandes villes en France. Qu'elles soient louées via des opérateurs ou achetées par des particuliers auprès de distributeurs, ces nouveaux véhicules errent dans une forme de flou juridique qui rend les assureurs frileux.
Pour le fonds de garantie, il n'y a pas de débat : « Considérés comme des véhicules terrestres à moteur, les trottinettes électriques, hoverboards, mono-wheels et gyropodes sont soumis à l’obligation d’assurance relative à la responsabilité civile automobile au sens des dispositions de l’article L 211-1 du code des assurances », indique le FGAO.
« C'est une position à laquelle nous nous attendions, indique Ghislain Lepoutre, avocat au sein du cabinet HFW. Mais nous pouvions nous interroger s'agissant des véhicules dont la vitesse ne dépasse pas 6km/h ».
Les trottinettes électriques sont donc considérées comme des véhicules terrestres à moteur (VTAM). Mais d'un point de vue juridique, ce n'est pas aussi limpide. Rien dans le code de la route ne permet de les caractériser clairement. Et leur définition peut varier d'un tribunal à l'autre. Dans un arrêt rendu le 5 avril 2018, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a ainsi considéré le pilote d'une trottinette impliqué dans un accident comme un piéton, au motif qu'il circulait sur le trottoir.
On comprend mieux pourquoi les municipalités souhaitent les remettre sur la chaussée avec les voitures et autres scooters. La loi Mobilités, qui doit entrer en vigueur au mois de septembre prochain, comblera ce vide juridique en faisant entrer ces nouveaux véhicules électriques dans le code de la route.
Le mythe de la RC incluse dans la MRH
A ce vide juridique s'ajoute un vide assurantiel. Beaucoup pensent que la garantie responsabilité civile incluse dans la MRH les couvre. « Mais dans la grande majorité des contrats, les NVEI sont exclus. Il peut toutefois exister des extensions. Mais elles ne sont pas automatiques », souligne Matthieu Hugonnenc, expert automobile au sein du cabinet GM Consultant.
Le cabinet d'expertise travaille actuellement sur 9 dossiers liés à des accidents de trottinettes. « Dans 100% des sinistres étudiés par le cabinet, il n'y avait pas d'assurance RC souscrite par les utilisateurs de trottinettes », relève l'expert. En cas de mise en cause de la responsabilité, le FGAO serait sollicité et pourrait lancer des recours contre les utilisateurs. « Cela coûterait potentiellement très cher aux responsables d'accidents, prévient Matthieu Hugonnenc. Mais les dossiers que nous traitons sont quasi exclusivement orientés sur le fondement d'un produit défectueux, plus rarement sur la responsabilité contractuelle ou le devoir de conseil ».
Autrement dit, ce sont potentiellement les vendeurs qui seraient mis en cause. « La vente de trottinettes est effectuée par une très grande diversité de distributeurs, dont beaucoup ne sont pas des professionnels et sans aucun conseil délivré aux consommateurs, notamment en matière de sécurité », regrette l'expert automobile de GM Consultant.
« Nous intervenons dans un dossier qui concerne une personne grièvement blessée aux jambes après avoir perdu le contrôle de sa trottinette sur la voie de circulation qui est porté devant une juridiction civile », ajoute-t-il.
Des assureurs frileux, des loueurs en dehors des clous
Quand bien même les consommateurs souhaiteraient s'assurer, ils auraient du mal tant le nombre d'offres disponibles est encore famélique. « Il existe trop peu d’historique sur ce marché et le contexte de la réglementation n’est pas encore figé », souffle un assureur pour expliquer le peu d'engouement du marché à se positionner. Au-delà du calcul actuariel du risque, compagnies et mutuelles doivent prendre en compte « le risque comportemental. On observe qu'une personne parfaitement raisonnable en temps normal peut complètement perdre la conscience du danger sur une trottinette », constate Matthieu Hugonnenc.
En revanche, le cas des loueurs de trottinettes en free floating est inquiétant. Peu proposent une couverture assurantielle à leurs usagers. La lecture des conditions d'utilisation des différents loueurs laisse peu de place au doute sur qui doit supporter la RC :
- Wind : « Vous reconnaissez et acceptez que vous disposez d'une assurance responsabilité civile ».
- Voi : « L’utilisateur doit s’assurer qu’il dispose d’une couverture d’assurance suffisante pour couvrir les conséquences financières résultant de la mise en œuvre de sa responsabilité pour quelque raison, et à quelque titre que ce soit ».
- Lime écrit laconiquement, qu'il souscrira « toutes les assurances nécessaires liées aux véhicules conformément aux lois en vigueur », sans plus de précisions.
- Bolt de son côté est couvert par Axa Iard via une assurance individuelles accidents, mais exclut la RC.
- Tier : « L’utilisateur reconnaît qu’il est responsable des dommages infligés à d’autres personnes lors de l’utilisation ou pendant la durée de possession du VMP ».
Autrement dit, pour les noms précités, seul un acteur a souscrit une assurance individuelle accident et un autre indique qu'il souscrira les assurances nécessaires. « Ils sont en violation de l'arrêté du 17 mars 2015 qui impose aux loueurs de véhicules de délivrer l'information selon laquelle l'assurance responsabilité civile est incluse dans la location », conclut Ghislain Lepoutre.
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