Résiliation infra-annuelle : agents et courtiers réagissent !

jeudi 31 janvier 2019
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Multiplication du pré-compte, démutualisation, hausse des coûts d'intermédiation, retrait de certains assureurs du marché de la santé... La majorité des intermédiaires pensent que la résiliation infra-annuelle des contrats santé aura des conséquences négatives pour les Français et pour le marché.

Les porteurs de risque ont rapidement réagi au projet du gouvernement de permettre la résiliation des contrats santé à tout moment après un an de détention. Le CTIP, la FNMF et la FFA ont exprimé leur opposition à cette mesure censée favoriser le pouvoir d'achat des Français. Le projet ne figure pas dans la Loi Pacte comme initialement prévu, mais le gouvernement cherche un autre « véhicule législatif » pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2020.

La majorité des courtiers et agents généraux considèrent que cette réforme va provoquer une hausse du coût de la distribution. Bertrand de Surmont, président de la CSCA, déclare que « si la concurrence peut faire baisser les prix dans un premier temps, dans un deuxième temps les contrats vont être redressés » et alerte sur un éventuel « réveil douloureux ».

« La rotation de portefeuilles sera uniquement vraie pour les bons risques. Les mauvais risques vont être de plus en plus isolés », indique Bertrand de Surmont, qui prévoit une augmentation du ratio sinistre à prime, une hausse des prix et une démutualisation des portefeuilles.

Les coûts d'acquisition en hausse

Dans un contexte de résiliation infra-annuelle, les courtiers seraient amenés à intervenir plus souvent auprès de leurs clients et prospects. « Les coûts d'acquisition sur un client vont augmenter car il faut une certaine durée en portefeuille pour qu'une affaire soit rentable », poursuit Bertrand de Surmont. Laurent Ouazana, président Ciprés Assurances /Axelliance et de Planète Courtier, pense que la mesure n'est pas une bonne nouvelle pour les courtiers « s'ils doivent donner du conseil trois fois par an pour un même contrat ».

La mesure provoquerait l'effet inverse à celui recherché par le gouvernement sur l'amélioration du pouvoir d'achat. Au lieu de permettre la résiliation infra-annuelle, Laurent Ouazana plaide pour instaurer une durée minimale de détention. « Si l’objectif est de redonner du pouvoir d’achat, il faudrait proposer des contrats de 2 à 3 ans, au cours desquels l'assureur s'engagerait à ne pas augmenter la cotisation, comme cela se pratique en assurance collective  », propose-il.

En assurance collective, le temps d'amortissement d'un contrat est encore plus long. « A un moment où les contrats collectifs sont souvent déséquilibrés, cette mesure vient casser le marché en empêchant potentiellement de gérer le retour à l’équilibre dans la durée », indique Bertrand de Surmont.

La multiplication du pré-compte

Un autre intermédiaire qui préfère rester anonyme alerte sur une éventuelle multiplication du précompte (escompte à effet différé), très répandu en assurance santé individuelle. Ce mode de rémunération permet au courtier d'encaisser sa commission à la date de souscription du bulletin d'inscription. « De petits malins peuvent s'amuser à faire jouer la concurrence avant la mise en place du contrat sur des affaires dont ils ont touché la commission », craint-il.

D'un point de vue commercial Jeremy Sebag, président de SPVie et de la CSCA Île-de-France et Ouest, considère que « la résiliation infra-annuelle ouvre des perspectives à tous les courtiers d'Île-de-France sur le marché de la santé qui représente 23 milliards d'euros de primes ». D'un point de vue technique, en revanche, le grossiste rejoint la quasi-totalité de la profession en pointant du doigt le risque d'anti-sélection, en déclarant que « la mesure est contraire au principe de mutualisation ». Même constat pour Laurent Ouazana, président de Planète Courtier, qui soutient « que l'objectif de favoriser la concurrence est louable mais le moyen d'y parvenir est dépourvu de bon sens ».

Des problèmes de gestion

Pragmatique, Jeremy Sebag signale également d'éventuels problèmes de gestion : « comment gérer le paramétrage de la carte de tiers payant, le chevauchement des télétransmissions ? » Si aujourd'hui, la gestion des résiliations est concentrée sur deux mois par an et demande le déploiement d'une task force dédiée, demain, avec la résiliation infra-annuelle, la profession devra s'organiser différemment car le travail sera intense tout au long de l'année.

Incompatible avec le contrat responsable

Jeremy Sebag considère que la résiliation infra-annuelle est incompatible avec la réforme du contrat responsable. « Nous allons dire aux assurés qu'ils peuvent changer de lunettes uniquement tous les deux ans mais qu'ils peuvent résilier leur contrat à tout moment, après la première année ? », s'interroge-t-il. Pour Damien Vieillard-Baron, président de Gerep, si le gouvernement va au bout de la logique d'ouverture du marché, il devrait « supprimer les fréquences et plafonnement imposés par le contrat responsable ».

La position d'Alan fait réagir

Les courtiers soutiennent que ces dispositions vont favoriser les nouveaux entrants, au détriment des acteurs historiques. Jeremy Sebag réagit aux arguments avancés par l'assurtech Alan, favorable à la résiliation infra-annuelle, qui compare l'ouverture du marché de la téléphonie mobile avec celui de la santé. « L'assurance santé n'est pas un produit téléphonique ! », rappelle-t-il. La prise de position d'Alan a beaucoup agacé les représentants du secteur. Laurent Ouazana commente : « L’industrie de l'assurance n'a pas été complètement unie sur cette question. La position d’un seul assureur, exprimée sur les réseaux sociaux et à la télévision, démagogique et très opportuniste, a été catastrophique pour l'image de la profession ».

Mais dans le secteur du courtage, il y a aussi de voix favorables à la résiliation à tout moment. Damien Vieillard Baron, président de Gerep, partage l'enthousiasme de Jean-Charles Samuelian, fondateur d'Alan. Gerep propose depuis plusieurs années la résiliation mensuelle des contrats individuels en santé, comme une démarche de service et de conseil. « Nous sommes favorables à la promotion de la libre concurrence comme un outil de performance vis-à-vis de nos clients. La généralisation de la résiliation infra-annuelle renforcera la fluidité du marché et donc notre rôle de conseil avisé », pense-t-il.

Les outils vont-ils suivre ?

Pour Damien Vieillard Baron, la résiliation infra-annuelle ajoute une complexité supplémentaire et est indissociable de la question de l'outil. « Cela demande d'être agile sur des outils comme la signature électronique, l'adhésion en ligne, le suivi du devoir d'information et de conseil, l'affiliation et la radiation des collaborateurs de l'entreprise en ligne...  », détaille-t-il.

Le président du courtier gestionnaire concède cependant qu'il peut y avoir quelques obstacles techniques de tarification. « Il y a une saisonnalité dans la consommation de soins, tandis que le montant de la prime est actuellement fractionné mensuellement. Notre expérience indique qu'il n'y a pas de réels surcoûts techniques », explique-t-il.

Damien Vieillard-Baron minimise les éventuels effets techniques en évoquant l'ouverture du marché de l'assurance emprunteur. « Uniquement 20% des entreprises grand maximum vont opter pour la résiliation infra-annuelle. Je n'ai pas l'impression que cela va bouleverser un marché qui est déjà très concurrentiel », commente-t-il. Sur cet argument, Laurent Ouazana soutient que l'on ne peut pas comparer l'assurance santé, qui couvre un risque de fréquence, avec l'assurance emprunteur, qui couvre un risque long.

Agéa prend acte

Grégoire Dupont, directeur général d'Agéa (la fédération des syndicats d'agents généraux d'assurance), pointe le manque de préparation et d'analyse de la mesure. « Nous prenons acte de cette mesure qui viserait à plus de concurrence. Nous émettons cependant un bémol technique sur la santé collective qui se base sur des comptes annuels pour pouvoir faire une proposition tarifaire », déclare-t-il. Le représentant des agents généraux considère que le changement d'opérateur est facilité dans tous les secteurs (téléphonie, banque) et que les mêmes craintes sur la hausse des frais de gestion avaient été évoquées par les banques pour empêcher l'ouverture de l'assurance emprunteur. Cependant, Grégoire Dupont s'interroge sur l'envie réelle des acheteurs, notamment des entreprises, de changer de contrat à tout moment, avec toutes les conséquences opérationnelles qu'implique un changement d'assureur.

Les assureurs vont-ils se retirer du marché de la santé ?

Difficile d'imaginer comment va réagir le marché suite à l'arrivée de la résiliation infra-annuelle. Laurent Ouazana formule quatre hypothèses : « Premier scénario : pour conserver le même niveau garanties, il faudra augmenter les tarifs car les coûts de gestion et la prime technique seront plus importants. Deuxième scénario : pour maintenir le tarif, il faudra faire monter le niveau de garanties progressivement, par paliers, au fur et au mesure de de l'année. Troisième scénario : nous n'allons pas assurer tous les Français, mais uniquement les moins consommateurs de soins, c’est-à-dire les très jeunes. Quatrième et dernier scénario : certains assureurs vont se retirer du marché de la santé ». Selon ce dernier scénario, le plus probable pour Laurent Ouazana, la baisse de l'offre réduirait la concurrence et les chances d'avoir un bon tarif. Le président de Ciprés Assurances cite l'exemple des États-Unis où Aetna, Humana et UnitedHealthcare ont quitté le système Obamacare qu'il qualifie de « fiasco technique ». « Quand le législateur fragilise la mutualisation, les assureurs s'en vont », prévient-il.

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