Téléconsultation : Les organismes complémentaires s’interrogent
Pionniers de la téléconsultation, les organismes complémentaires pourraient adapter leur stratégie, suite à la crise du coronavirus.
La crise du coronavirus a provoqué un boom de la téléconsultation. 19 millions de téléconsultations ont été remboursées par l’Assurance Maladie en 2020, soit 5,4% des consultations chez les médecins libéraux, contre 0,1% avant la crise. La crise a permis d’assouplir les conditions de prise en charge par l’Assurance Maladie, notamment le fait que le patient devait avoir rencontré le médecin au cours des 12 mois précédents. La téléconsultation est donc rentrée dans les moeurs chez les médecins comme chez les patients.
Les organismes complémentaires ont été des pionniers de la téléconsultation. Axa France l'a proposée en premier, via sa filiale Axa Partners. Puis, d'autres acteurs ont investi dans l’acquisition de sociétés spécialisées, comme Mes Docteurs par le groupe Vyv ou plus récemment Medaviz par Groupama, Matmut et MBA Mutuelle. Ce service rare qui permettait aux complémentaires de se différencier est devenu la norme dans le catalogue de services des organismes complémentaires.
Ces derniers ont également enregistré un pic de téléconsultations intégralement financées par l’assureur depuis mars 2020. Les volumes auraient été multipliés par 4, selon certains acteurs. Cependant, il est difficile d’avoir des chiffres précis. La crise a donc permis de développer l'usage du service qui était assez limité jusqu'à février 2020.
Est-ce que les assureurs doivent revoir leur stratégie en matière de téléconsultation suite à l’augmentation de l’usage ? Certains acteurs envisagent de faire évoluer le modèle économique. Jusqu’à présent, le prestataire (MesDocteurs, Médecin Direct ou des sociétés d’assistance comme Axa Partners) facturait sa prestation en fonction de la taille du portefeuille, du nombre de personnes protégées. Demain, certains acteurs envisagent de payer en fonction de l’usage réel du service. D’autres acteurs qui proposaient jusqu’à présent un nombre illimité de téléconsultations en inclusion des contrats santé, pourraient demain limiter le nombre d'actes et facturer le service à l’adhérent, au-delà d’un certain seuil.
Quel espace reste-t-il aux ocam ?
L’Assurance maladie a choisi de faire de la téléconsultation un outil à la main des médecins et de porter la prise en charge à 100%, afin de faciliter la facturation de la part des médecins et réduire le reste à charge pour le patient. Les pouvoirs publics ont décidé de prolonger cette prise en charge à 100% jusqu’à fin 2021, provoquant l’incompréhension des ocam, qui souhaitent jouer pleinement leur rôle d’organisme complémentaire.
Bascule vers la téléconsultation conventionnée ?
Est-ce que la prise en charge de la téléconsultation à 100% par l’AMO va avoir un impact sur la stratégie des assureurs ? Les assureurs peuvent désormais avoir une page à leurs couleurs, avec une URL propre à la complémentaire, qui propose un service de prise de rendez-vous en téléconsultation. Les actes sont délivrés par des médecins libéraux et pris en charge par l'Assurance Maladie. Les tarifs proposés par des plateformes comme Maiia.com (Cegedim), soit 15 centimes d'euro par an et par personne protégée, sont très concurrentiels par rapport à la téléconsultation intégralement financée par la complémentaire. "Les organismes complémentaires sont en train de basculer vers la téléconsultation conventionnée. Nous proposons de continuer à proposer le service mais d’arrêter de le payer. Une grosse mutuelle de fonctionnaires vient de résilier avec son partenaire pour signer avec nous. En revanche, cela prendra du temps car les mutuelles ont investi dans la téléconsultation en qualité d'actionnaires", indique Jean von Polier, directeur des projets de Cegedim.
Pour Alix Pradère, directrice générale de l'activité Health d'Accenture France et fondatrice d'OpusLine, part of Accenture, il serait prématuré d’abandonner le champ de la téléconsultation. Les organismes complémentaires doivent continuer à investir dans ce domaine. « La situation actuelle est exceptionnelle. Les assureurs restent des leaders, des opérateurs et des distributeurs de la téléconsultation. Cela a son importance dans l’expérience client. La courbe des usages suit celle de l’Assurance Maladie, avec des hauts en période de confinement, suivis de bas, mais l’usage reste largement supérieur à celui d’avant la crise ».
Parmi les atouts de la téléconsultation proposée par les ocam, « le service reste focalisé sur les besoins des assurés, avec une disponibilité 24/7, en dehors des horaires d’ouverture des cabinets médicaux. Les ocam proposent des téléconsultations dans un choix de spécialités plus large que l’assurance maladie. En plus, l’examen clinique à distance requiert une certaine technicité et formation qui peut prendre du temps chez certains médecins. Les plateformes de téléconsultation ont acquis de l’expérience et portent une attention particulière à la qualité du service médical », fait valoir Alix Pradère.
Les réflexions du secteur de l’assurance visent à faire en sorte que la téléconsultation soit un point de départ, qu’elle soit entourée d’autres services d’accompagnement. C’est là que réside la valeur ajoutée des complémentaires, dans leur capacité à proposer d’autres services à l’issue d’une téléconsultation.
L'espace numérique de santé
Enfin, dans la période à venir, les assureurs vont rester des investisseurs importants des services en santé. « Je suis persuadée que la création de l’Espace numérique de santé en 2022 va provoquer de grands changements dans le secteur de la santé », signale Alix Pradère. Le consortium composé d’Accenture, Otto et Atos a été sélectionné pour créer l’ENS. « Toutes les initiatives numériques de santé devront transiter par cet espace. Les applications seront logées en lecture et en écriture. Les organismes complémentaires auront un rôle d’investisseur pour déployer des solutions embarquées dans l’ENS. Les assureurs et autres acteurs privés devraient pouvoir avoir accès aux données de l’ENS, car l’objectif est de faire émerger un écosystème et d’améliorer les parcours des patients. Si on ne laisse pas un espace suffisant à l'initiative privée, on ne se donne pas tous les moyens de réussir », indique Alix Pradère.
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