Thierry Beaudet : "Le coronavirus révèle les faiblesses d’un ondam trop contraint"
INTERVIEW – Thierry Beaudet, président de la Mutualité Française, partage sa vision sur la crise sanitaire provoquée par le coronavirus et annonce vouloir soutenir les établissements et professionnels de santé en difficulté.
Quelles seront les conséquences de cette crise sanitaire pour notre pays et notre modèle de protection sociale ?
Je trouve que c’est une crise inédite depuis 1945, une crise totale, sanitaire, économique, qui affecte l’économie réelle avant d’affecter la planète finance. Il me semble que les moyens alloués à notre système de santé seront une question majeure. Le Président de la République a évoqué un grand plan pour hôpital. C’est le moins qu’il pouvait faire, car l’hôpital était déjà bien fragilisé avant la pandémie. Cela doit se traduire par un plan d’investissement massif. Nous allons beaucoup apprendre de la pandémie. Des débats récents sur sa gestion montrent que l’organisation des soins entre la ville et l’hôpital doivent évoluer. La question de la relation entre l’hôpital public et l’hospitalisation privée non lucrative, la question du lien entre l’hôpital et le médico-social, l’hôpital et les Ehpads… La pandémie révèle les progrès que nous devons faire sur l’organisation de notre système de santé.
Par ailleurs, la santé, au même titre que l’énergie, est un bien souverain. Il faut que l’on réfléchisse à notre autonomie sanitaire. Quand on mesure que nous sommes dépendants de matériel sanitaire fabriqué à des milliers de kilomètres, cela interroge sur la souveraineté européenne sur le plan sanitaire.
Pensez-vous que le système de santé est en mesure de faire face à cette pandémie ?
Ces dernières années, lorsqu’il était question du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, à la Mutualité Française, nous avons regretté des ondam (objectif national des dépenses d'assurance maladie) trop contraints. C’est un choix qui a été fait pas uniquement par le gouvernement en place mais par d’autres également avant lui. Bien sûr qu’il faut rationaliser les dépenses et bien dépenser l’argent public, mais nous payons aujourd’hui un certain nombre de choix. Cette crise révèle que l’ondam était trop contraint et qu’il fallait le desserrer. Mais cette crise révèle également un système trop cloisonné, trop hospitalo-centré, et pas suffisamment organisé autour du parcours et de la prévention. Elle remet au cœur des enjeux et discussions, la question de l’efficience de notre système.
Comment imaginez-vous la sortie de crise ?
La distanciation sociale indispensable actuellement révèle paradoxalement un élan vers plus de lien social et d’actions de solidarité. Qu’elles soient de proximité, entre voisins ou de plus grande ampleur. Cette crise a montré avec toutes les initiatives qui ont émergé et celles qui sont encore à venir, les perspectives d’une société qui pourrait aller vers plus de solidarité et de fraternité.
Enfin, je pense qu’il faudra qu’on en tire les conséquences sur la manière dont on fonctionne dans nos entreprises. Nous avons forcé, contraint et massifié l’expérience du télétravail. Nous portons aujourd’hui un nouveau regard sur la valeur et l’utilité de nos différents emplois dans les mutuelles. Même si on a des moyens technologiques qui nous permettent d’échanger, nous annulons beaucoup de réunions. Parallèlement, on voit émerger des projets collaboratifs. C’est une rupture dans la façon dont les personnes travaillent ensemble.
La FFA a contribué au fonds de solidarité national à hauteur de 200 millions d’euros. La Mutualité Française compte-t-elle y contribuer ?
Nous avons conscience que tous les établissements de santé, publics comme privés, sont impactés directement ou indirectement dans leurs organisations.
Certains établissements sont en suractivité liée au COVID. D’autres ont déprogrammé des soins et se retrouvent avec des ressources diminuées en ce moment. Ils sont privés des recettes dans le cadre de la fameuse tarification à l’activité (T2A). L’assurance maladie va probablement maintenir la totalité de leur financement, même en cas de baisse d’activité. La Mutualité Française pourrait participer à cet effort. Nous avons échangé avec Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie, pour travailler à concevoir ensemble, de manière coordonnée, des dispositifs pour compenser la perte de ressources des établissements et des soignants. La Mutualité Française est le premier acteur social sur le champ de la santé et je pense que nous devons réfléchir à la manière de compenser la baisse des ressources des professionnels de santé dans ces moments difficiles.
Comment se sont organisées les mutuelles pour assurer la continuité de leur activité, sur la partie livre 2 ?
Après l’annonce du confinement, les mutuelles ont déployé les plans de continuité d’activité pendant la première semaine. Elles ont fermé les agences ouvertes au public, elles ont cherché à s’organiser en télétravail pour rester joignables et proposer des solutions de remplacement, par téléphone, via l’espace personnel des assurés ou le tchat. Parallèlement, elles ont mis tout en œuvre pour maintenir la gestion des prestations en santé et prévoyance. Les mutuelles parviennent à gérer leurs prestations qui arrivent par voie dématérialisée. En revanche, il pourrait y avoir des retards sur les demandes de remboursement transmises par courrier.
Les mutuelles auront-elles recours au chômage partiel ?
Des mutuelles ont orienté les collaborateurs dont l’activité n’était pas compatible avec le télétravail vers de nouvelles missions. Par exemple, la Macif ou la MGEN ont mobilisé les commerciaux pour mener des campagnes d’appel et de contact des adhérents les plus fragiles. Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a pas de recours au chômage partiel sur la partie assurantielle. L’objectif des mutuelles à ce stade du confinement est de tout mettre en œuvre pour éviter ce chômage partiel.
En revanche, sur nos établissements de santé et de soins, nous avons déposé des demandes d’autorisation de chômage partiel pour le personnel des centres d’optique, dentaires et des crèches qui n’accueillent pas des enfants de professionnels de santé.
Avez-vous des chiffres ou tendances concernant les prestations versées, depuis le début du confinement ? Avez-vous constaté une baisse des prestations santé ?
Dans un certain nombre de cas de figure, on paie moins de prestations santé. Incontestablement, il y a moins de flux que précédemment, moins de consultations médicales, moins de transports sanitaires, d’actes d’auxiliaires médicaux, d’optique et de dentaire. Et probablement plus d’hospitalisations et dans quelques semaines, plus de frais de laboratoire, s’il y a recours massif aux tests. Il est encore trop tôt pour estimer le niveau des dépenses et les effets de report. Nous ne pourrons en faire le bilan que dans quelques mois.
Parallèlement, un certain nombre de mutuelles encaissent moins de primes, notamment en assurance collective. Dans les 10 jours qui viennent, les mutuelles mesureront la situation.
Quel sera l’impact de cette crise en prévoyance ?
Nous savons d’ores et déjà qu’il va y avoir un impact en prévoyance, même si on ne peut pas encore le chiffrer. A l’instar de nos collègues de la place, les mutuelles ont mis en place des dispositifs. Nous allons maintenir les garanties et accorder des reports de paiement pour les entreprises en difficulté. Les mutuelles prendront en charge les indemnités journalières complémentaires des personnes vulnérables en arrêt de travail. Ces cas n’étaient pas prévus dans les contrats prévoyance. Nous avons donc élargi le champ de l’arrêt de travail. Certaines mutuelles ont décidé de réduire les délais de franchise. L’assiette de cotisation basée sur le chômage partiel sera forcément réduite, mais nous avons décidé de maintenir le même niveau de prestations. Nous allons donc devoir faire face à des dépenses supplémentaires, suite à ces prises en charge étendues, à des volumes supérieurs, avec des ressources moindres.
Craignez-vous une dégradation de l’état de santé de la population à cause du renoncement aux soins ?
Nous ne savons pas dans quelle mesure les dépenses que nous n’avons pas aujourd’hui, seront reportées demain. Et, quand on renonce aux soins, plus tard le problème de santé peut devenir plus lourd, plus grave, plus cher. Nous ne sommes pas en mesure de chiffrer aujourd’hui ces effets.
Pensez-vous que cette crise va encore réduire le nombre de mutuelles ?
Les impacts seront différents d’une mutuelle à l’autre. Les mutuelles spécialisées sur l’assurance individuelle seront moins impactées, comme par exemple les mutuelles de fonctionnaires, qui continuent de percevoir les cotisations attendues. À ce stade, cela ne peut pas remettre en cause l’existence de mutuelles car l’essentiel de notre activité c’est la santé. Je pense que l’impact sur la solvabilité des mutuelles ne sera pas considérable.
Comment les mutuelles peuvent accompagner les adhérents en situation de détresse ou fragilité dans cette situation de crise sanitaire ?
Il y a des mutuelles qui ont mis en place des services de livraison à domicile pour les personnes fragiles, d’autres comme la Mutuelle Nationale des Sapeurs-Pompiers ont généralisé la téléconsultation, d’autres ont mis en place des plateformes qui permettent d’apporter des réponses aux personnes fragiles ou en difficulté. Certains dispositifs que nous sommes en train d’expérimenter aujourd’hui vont se pérenniser.
Quelle est la situation actuelle dans les établissements sanitaires et de soins mutualistes ?
Nos établissements et services sont en première ligne pour soigner les malades du coronavirus dans les situations les plus extrêmes, pour accompagner les plus fragiles, soigner au domicile les personnes âgées, s’occuper des enfants de soignants dans les crèches mutualistes. Nous avons des milliers de salariés en première ligne.
Par l’exemple, l’Institut Mutualiste Montsouris, à Paris, dès le début de la crise, a travaillé en bonne intelligence avec l’Agence régionale de santé (ARS) et l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP). Dans une première phase, nous avons déprogrammé les activités non urgentes pour accueillir les urgences d’établissements de l’AP-HP non relatives au coronavirus. Quand la crise s’est amplifiée, l’IMM s’est engagé dans la prise en charge des patients atteints de covid-19, avec 50 lits en réanimation.
Autre exemple, la clinique Bellevue à Saint Etienne a augmenté ses capacités d’accueil en réanimation avec une trentaine de lits. Ou encore la Mutualité Française Bourguignonne a formé des soignants pour une équipe mobile qui, à la demande des urgences, va au domicile des patients pour faire les prélèvements nécessaires au diagnostic du virus. Nous gérons également 221 Ehpad, dans lesquels les professionnels sont très mobilisés pour faire face à la situation et développent des initiatives intéressantes notamment pour maintenir le lien avec les familles, comme au Puy-de-Dôme, où une hotline a été mise en place.
Est-ce que vos établissements ont été sous-utilisés, en comparaison avec les hôpitaux publics ?
Dans certaines régions, nous avons en effet déprogrammé des interventions, mais la vague de patients atteints du Covid-19 est arrivé quelques jours après, très progressivement. Globalement de bonnes coopérations se sont établies entre nos structures et les établissements du territoire avec des chirurgiens publics qui utilisent nos plateaux techniques ou bien nos centres de santé qui se sont réorganisés en centre COVID comme au Pavillon de la Mutualité à Bordeaux.
Est-ce que les établissements mutualistes ont été approvisionnés en masques et protections ?
Je trouve normal qu’il y ait eu une centralisation de la gestion des protections. Simplement, ce qui m’importe c’est que la distribution soit juste. Je suis intervenu auprès de certaines ARS pour que nos soignants puissent intervenir en toute sécurité.
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