Tiers payant public : La menace pèse sur la tête des ocam
Les organismes complémentaires redoutent l’arrivée d’un tiers payant public géré par l’Assurance Maladie et évoquent une « Grande Sécu qui ne porte pas son nom ».
Le scénario de création d’une grande Sécurité sociale avait suscité en 2021 une levée de boucliers au sein des organismes complémentaires. Pendant la campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon reprend l’idée d’une la Grande Sécu dans son programme mais Emmanuel Macron ne fait aucune mention à un quelconque projet d’extension du périmètre de l’Assurance Maladie. Lors de la présentation de son projet présidentiel, il avait même indiqué ne pas croire "à un modèle de cathédrale unique car les complémentaires jouent un rôle important", s'opposant de fait à l'idée de la Grande Sécu.
Pourtant, un article des Echos du 14 avril, entre les deux tours de l’élection présidentielle, met les organismes complémentaires en garde. Le président de la République réélu envisagerait de systématiser le tiers payant en santé sur la part obligatoire et complémentaire. L’idée serait de « confier un rôle d’intermédiation financière à l’assurance maladie qui paierait les médecins, puis recouvrerait les fonds auprès des complémentaires », selon le quotidien économique.
En toute discrétion
« Le sujet de la grande Sécu va revenir. Et il va revenir en pire. Car ne nous voilons pas la face, aujourd'hui les discussions sont sorties du débat public pour devenir la Grande Sécu sans le dire. Elle se fait par décrets successifs pour achever un processus d'étatisation rampante déjà réalisé à 80%. Si nous n'y prenons pas garde, il sera réalisé à 100% dans les deux ans qui viennent à travers des mesures qui apparaîtront complètement anecdotiques, mais qui sont pourtant extraordinairement structurantes. Il en existe une qui est déjà dans les tuyaux du ministère et qui se mettra en œuvre sans débat. C'est celle du tiers payant intégral », alerte un dirigeant su secteur.
Les organismes complémentaires sont favorables au tiers payant complémentaire, mais refusent de confier à la Sécurité sociale le rôle d’intermédiation financière. « C'est la fin de l'assurance santé, parce que nous devenons définitivement invisibles. Cela signifierait qu'au lieu de rembourser les patients et donc de continuer à avoir une relation avec eux et d'être à même de les accompagner, de faire de la prévention, c'est la Sécurité sociale qui nous présenterait la facture. Le rôle différenciant de l'assureur qui peut jouer la fonction de corps intermédiaire entre les pouvoirs publics et le grand public, qui peut prendre des initiatives innovantes pour apporter sa pierre dans les territoires sur des sujets comme les déserts médicaux disparaît. Si la Sécurité sociale nous coupe de la relation avec le client, nous ne pouvons plus jouer notre rôle, nous ne pouvons plus développer nos services, nous ne pouvons plus écouter leurs besoins. Cela sonne également le glas de la médecine libérale. Or, ce qui fait la supériorité du modèle français par rapport à beaucoup d'autres systèmes dans le monde c'est aussi le fait qu'il repose sur deux pieds et que les Français ont la liberté de choisir leur médecin et les médecins, de choisir leur mode d'exercice », regrette un observateur.
Les ocam, futurs acteurs de l’ombre ?
Le tiers payant intégral sera-t-il une des mesures du nouveau ministre de la Santé et de prévention, François Braun ? « La direction de la Sécurité sociale et les cabinets ministériels nous disent que la demande n’a pas encore été concrètement instruite pour une mise en œuvre prochaine. Nous restons attentifs. Si ce projet aboutit, les ocam deviendront des payeurs aveugles et invisibles pour leurs assurés. Nous serons privés de l’interaction avec ces derniers. Ce n’est pas un bon projet pour les assurés car la Sécurité sociale ne connaît pas les garanties des contrats et peut donc rembourser uniquement au niveau du ticket modérateur. Il faudra de toute façon un remboursement complémentaire et par conséquent imaginer plusieurs circuits parallèles, notamment en cas de dépassement d’honoraires », pointe Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs.
Le tiers payant public représente également un obstacle majeur pour la stratégie de services des assureurs. « Si les complémentaires santé interviennent uniquement pour payer la facture auprès de l'Assurance Maladie plusieurs jours après l’acte médical, il sera difficile d’apporter le bon service au bon moment dans une logique de parcours de soins », considère Franck Le Vallois.
Enfin, privés de la gestion directe des prestations auprès des assurés, les ocam ne pourront plus mener des actions de lutte contre la fraude à priori. « Le nombre de versements indus et de contentieux risque d’exploser », s’inquiète le DG de France Assureurs.
Le tiers payant, une obligation seulement pour les ocam
La dispense d’avance des frais sur la partie complémentaire est une obligation qui s'impose aux organismes complémentaires dans le cadre du contrat responsable. En revanche, pour les médecins, le tiers payant reste facultatif. Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avait tenté en 2014 de mettre en place un tiers payant intégral mais l’opposition des médecins avait été féroce et finalement le tiers payant complémentaire est resté facultatif pour les médecins.
Les organismes complémentaires ont créé en 2017 l’association Inter-AMC afin de simplifier les démarches auprès des professionnels de santé. 95% des contrats de complémentaire santé proposent déjà le tiers payant intégral sur le 100% santé, selon l’Association des plateformes de santé (APFS). En optique, 78,5% de l'ensemble des prestations ont été facturées en tiers payant, selon l'Unocam.
Dentistes et audioprothésistes à la traîne
L’absence de tiers payant complémentaire est particulièrement problématique dans le cadre de la réforme du 100% santé car les sommes à avancer sont considérables et peuvent représenter un motif de renoncement aux soins pour les assurés modestes. Pourtant, le tiers payant complémentaire a du mal à se déployer auprès de certaines spécialités comme les dentistes et audioprothésistes.
En dentaire, uniquement 14,3% des prestations ont été facturées en tiers payant complémentaire. L'association Inter-AMC a créé une nouvelle norme dentaire TPC qui devrait permettre le déploiement du tiers payant en dentaire. En audiologie, 70,6% des actes ont fait l’objet d’un tiers payant sur la partie complémentaire en 2021, selon l'Unocam.
Le Syndicat des audioprothésistes (SDA) expliquait en mai 2021 que « le principal facteur freinant la télétransmission en général, et le tiers-payant en particulier, est le trop grand nombre de procédures avec les organismes complémentaires et leurs plateformes ». Les audioprothésistes réclament « un système universel de tiers payant » pour mettre un terme à la complexité administrative et dénoncent qu’il faille adhérer à un réseau de soins afin de pouvoir pratiquer le tiers payant facilement.
Ce n’est que partie remise
L’idée d’encadrer le tiers payant pour les actes du 100% santé avait fait l’objet d’un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022. L’article 90 de la LFSS 2022 a été considéré comme un cavalier législatif et retiré du projet de loi, mais la députée qui avait introduit la mesure par voie d'amendement, Agnès Firmin-Le Bodo, est aujourd’hui ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Le texte en question ne faisait pas mention d’un tiers payant public, mais instaurait l’obligation pour les ocam de garantir le tiers payant intégral en dentaire, optique et audioprothèse dès janvier 2022.
L'amendement prévoyait également qu’«un décret encadre les services numériques devant être mis à disposition, afin de préciser les modalités d’application de cette obligation ». Au moment des débats parlementaires, les organismes complémentaires craignaient déjà de se voir imposer une solution universelle de tiers payant, conçue par la Sécurité sociale.
Après le vote du texte, France Assureurs avait saisi le Conseil Constitutionnel par l’intermédiation de l’avocat Nicolas Baverez et obtenu gain de cause car l’article 90 avait été considéré comme un cavalier législatif et retiré de la LFSS. Le projet n'est pourtant pas enterré et « les pouvoirs publics cherchent un nouveau véhicule législatif », confie un observateur. Affaire à suivre.
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