Tribune : "Une année riche en événements et en paradoxes", par André Renaudin
André Renaudin, directeur générale d'AG2R La Mondiale revient sur l'année 2016 en assurances vie, retraite et épargne. Il livre également ses perspectives pour 2017.
L’année 2016 a été riche en événements au plan mondial et européen : crise boursière chinoise, référendum du 23 juin au Royaume-Uni, rejet de la révision constitutionnelle en Italie, élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. La France aura, quant à elle, été marquée par un environnement économique et financier déprimé, et un contexte réglementaire contraignant avec, en point d’orgue, la mise en œuvre de Solvabilité 2.
L’année 2016 a également était témoin de nombreux paradoxes notamment en assurance vie : au premier semestre le marché craignait que les taux restent durablement bas voir négatifs ; à la fin de l’année, le marché craignait que ces taux ne remontent brutalement.
Dans ce contexte pour le moins chahuté, l’épargnant a cependant conservé une certaine forme de calme voire de flegme.
L’année des taux historiquement bas
Le 6 juillet dernier, pour la première fois, la France s’est endettée à un taux presque nul, de 0,1 % sur des obligations à 10 ans. L’Allemagne a fait mieux en s’endettant, durant une grande partie de l’année, à taux négatifs avec un record établi le 7 août à -0,189%. Depuis, les taux remontent légèrement retrouvant, en décembre, leur niveau de janvier. Cette légère augmentation s’explique par les effets cumulatifs : du référendum italien, de l’élection américaine et de la décision de la Réserve fédérale américaine, la Fed, de relever ses taux directeurs alors que l’inflation remonte doucement.
Des taux faibles pour longtemps ?
Au-delà de ces tensions circonstancielles, de la pression des prochaines élections européennes et de la hausse du prix du pétrole, plusieurs facteurs structurels expliquent le niveau des taux d’intérêt. À commencer par la baisse des gains de productivité qui agit négativement sur la croissance, le vieillissement de la population qui alourdit les charges de l’État, l’endettement et la faible inflation. La dette publique dépasse, au sein des pays avancés, 100 % du PIB. Elle atteint 98 % en France et 250 % au Japon. Dans ces conditions, une hausse rapide, même légère des taux d’intérêt mettrait en péril l’équilibre budgétaire des États. Par exemple : une hausse de 1 point aujourd’hui, correspond à un versement supplémentaire de 10 milliards d’euros pour l’État français sur une période de 5 ans. Ainsi, pour éviter une crise financière de grande ampleur, les banques centrales n’ont d’autres solutions que de maintenir leur politique monétaire non conventionnelle.
Concernant l’inflation, si dans les prochains mois le cours du baril de pétrole devait peser plus lourdement sur l’indice, cette dernière resterait cependant durablement faible. L’excès d’offre, tant au niveau du travail que des biens industriels, mettra du temps à se résorber. Par ailleurs, la nouvelle économie digitale est de nature déflationniste. De plus, les plateformes collaboratives augmentent la concurrence quand la production numérique fonctionne à coût marginal nul ou quasi nul.
Enfin, l’excès d’épargne, particulièrement en Allemagne et en Chine, ne favorise pas une remontée durable des taux, d’autant que, depuis la crise de 2008, l’aversion aux risques demeure élevée. Ainsi, la probabilité de taux durablement faibles est forte.
Le dilemme rendement – risque
Des taux historiquement bas présentent l’avantage, en France notamment, de faciliter la hiérarchisation des produits d’épargne. Les livrets, dont le Livret A, constituent le socle de l’épargne de précaution, le Plan d’épargne en actions (PEA) et l’assurance vie (notamment l’épargne retraite) retrouvent, quant à eux, leur fonction de supports à l’épargne de longue durée destinée à financer l’économie réelle.
Dorénavant, les épargnants intègrent que le rendement des produits de taux sera faible pour plusieurs années et qu’il s’obtient sur la durée en prenant des risques, même relatifs. Avec cette prise de conscience, 2016 aura marqué un retour aux fondamentaux.
Une enquête réalisée par le Cercle de l’Épargne en 2016 soulignait d’ailleurs que plus de la moitié des épargnants avaient pleinement conscience que risque et rendement allaient de pair, le passage à l’acte étant cependant plus compliqué. Néanmoins, soulignons que le mouvement est engagé. Ainsi, au mois d’octobre 2016, 25 % de la collecte de l’assurance-vie s’est effectuée en unités de compte quand, au mois d’octobre 2011, ce taux n’était que de 14 %. Cette montée en puissance est remarquable d’autant qu’elle intervient dans un environnement boursier tourmenté. La politique de restriction d’accès aux fonds en euros menée par les assureurs n’y est sans doute pas totalement étrangère.
L’épargnant français entre pragmatisme, mobilité et attentisme
L’histoire a montré que l’épargnant français est pragmatique et mobile. Il sait s’adapter à la nouvelle donne. Dans les années 1990 et 2000, il a plébiscité, à juste titre, les fonds euros qui lui garantissaient sécurité, liquidité et rendement. Entre 2008 et 2012, en période de crise, il a préféré le Livret A garanti par l’État, et dont le rendement était élevé. En 2014 et 2015, il s’est reporté sur le Plan d’épargne logement (PEL) qui était devenu très attractif. La fin du « dopage artificiel » des livrets et des plans réglementés a, cette année, conduit les épargnants à réaliser de nouveaux arbitrages.
L’épargnant français est aussi attentiste. Le changement de paradigme que nous connaissons n’est pas sans soulever interrogations et perplexité. C’est certainement pour cela que les dépôts à vue ont, en 2016, atteint un niveau historique avec plus de 370 milliards d’euros d’encours. Cet attentisme a été favorisé par la polémique provoquée par l’adoption, dans le cadre de la loi Sapin 2, de mesures de sauvegarde de l’assurance en cas de crise systémique. Le fait générateur du scénario de crise envisagé par ces dispositions serait une remontée brutale des taux qui ferait s’effondrer les plus-values latentes des assureurs, les mettant ainsi en difficulté. Les pouvoirs publics ont imaginé un scénario catastrophe pour se doter de tous les dispositifs possibles leur permettant de réagir, même en cas d’événement très improbable. Il s’agit d’une mesure d’intérêt général, prise totalement à froid. La perspective d’un blocage temporaire des rachats sur les contrats d’assurance vie a certes pu inquiéter certains épargnants, cependant il est plutôt rassurant que les pouvoirs publics anticipent toutes les situations et prennent en compte les conséquences d’un choc obligataire sur l’assurance vie dont l’encours est équivalent au trois quart du PIB français.
Solvabilité 2, le défi supplémentaire en forme de paradoxe
L’année 2016 est également celle de l’entrée en vigueur de Solvabilité 2. Pour les sociétés d’assurance, l’application de ce nouveau cadre prudentiel constitue un véritable défi à relever. Il intervient en effet alors que les taux d’intérêt sont historiquement bas ce qui contraint fortement les investissements alors qu’il faudrait les diversifier pour espérer limiter les baisses de rendement. D’un côté, il faut réorienter l’épargne vers les placements « actions », de l’autre il faut renforcer les fonds propres. Pour l’épargnant, il n’y a plus d’autre choix que de prendre une quote-part de risque en direct via les unités de compte sauf à se résoudre à plusieurs années de très faibles rendements.
L’épargne, un métier d’avenir
En raison du contexte politique, social, économique, financier et réglementaire, le métier d’assureur est aujourd’hui nécessairement en mutation. Cependant, une certitude demeure : nous avons besoin d’épargne pour financer l’économie et faire face à nos besoins futurs, qu’ils concernent la collectivité, nos proches ou nous-même. Avec le vieillissement de la population, la progression des dépenses d’assurance-maladie, de retraite et de dépendance, l’épargne et sa transformation sont des sujets à placer au cœur du débat public dès à présent !
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