Tribune d'Anne Marion : Le surcoût du 100% Sécu est de 23Mds €
Anne Marion, fondatrice du cabinet d’actuariat Actuarielles, estime à 23 milliards d’euros le surcoût du 100% Sécu.
Anne Marion, ancienne membre du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, a calculé l’impact financier des différents scénarios du HCAAM pour réformer l’articulation entre le régime obligatoire et complémentaire d’assurance maladie.
Selon ses calculs, pour équilibrer les comptes de la Caisse nationale d’assurance maladie, hors 100% Sécu et hors effet Covid, il faudrait augmenter les cotisations de plus de 2,6% par an. Ce surcoût provient de la hausse des coûts, du vieillissement et du cumul des deux.
Lors d’un webinaire organisé le 9 novembre, Anne Marion a partagé avec le marché ses estimations. Le scénario de Grande Sécu coûterait 23Mds d'euros de plus à la sécurité sociale, selon l'actuaire. « Si la Sécu devait prendre en charge le contrat « dit » responsable (qui n’est pas raisonnable) le financement complémentaire correspondrait approximativement à 12% du budget actuel et alourdirait, de manière non proportionnelle, la dérive puisqu’après cette hausse de 12% du budget l’année de mise en œuvre, il faudrait, ensuite une hausse de 2,5% par an pour équilibrer les comptes à horizon 2030 », affirme l’actuaire.
Suite à son webinaire, Anne Marion a publié sur LinkedIn son analyse, que nous relayons ci-dessous sous forme de tribune.
Les scénarios du HCAAM doivent-ils inquiéter les complémentaires ?
Le 23 septembre 2021, le HCAAM s’est réuni pour étudier un projet d’avis sur le rapport relatif au devenir de l’articulation entre l’AMO (Assurance Maladie Obligatoire) et les AMC (Assurance Maladie Complémentaire). 4 scénarios sont envisagés mais le chiffrage reste à élaborer. La présente note a donc pour objet d’examiner ces scénarios avec un regard technique et actuariel.
Les deux premiers scénarios, celui dit de la « Grande sécu » et celui du « décroisement » des financements entre AMO et AMC, sont des modifications systémiques qui auraient des impacts techniques et assurantiels considérables sur les modèles actuels. A cet égard, l’avis de l’ACPR sur ces scénarios serait intéressant.
Le troisième scénario repose, quant à lui, sur la continuité de l’architecture actuelle avec un renforcement des couvertures et le dernier scénario, enfin, porte sur une normalisation accrue après la mise en œuvre du 100% santé, déjà très contraignant.
Ce quatrième scénario pourrait également permettre la conception d’offres santé moins contraignantes, possiblement moins onéreuses, centrées sur l’essentiel et partant des moyens autant que des besoins.
Le scénario dit de la « Grande Sécu » semble irréaliste
Ce scénario est en pleine contradiction avec les observations de ces 40 dernières années qui ont vu :
- La quasi-stagnation des BRSS en optique et en dentaire
- La création du forfait journalier
- La hausse du prix des chambres particulières, seule marge de manœuvre budgétaire des hôpitaux
- La limitation du numérus clausus des médecins
- Le déremboursement de certains médicaments
- Etc.
Ainsi, l’idée de faire financer par l’assurance maladie davantage de dépenses de santé paraît d’autant plus invraisemblable que la projection des résultats du régime de base de la CNAM fait apparaitre une dérive insoutenable. Cette projection fait plutôt craindre une accélération des désengagements...
D’autant que, si la Sécurité sociale souhaite financer davantage de protection sociale, ne serait-il pas préférable, au regard de la gestion des risques et des fondamentaux qui l’ont fondée, de :
• Mieux prendre en charge l’invalidité ? • Mettre en place la dépendance ? • Améliorer la prise en charge du handicap des plus jeunes ?
Par ailleurs, dans le scénario dit de la « grande Sécu », resteraient aux AMC : • Les dépassements ? • La chambre particulière ? • Les garanties au-delà du 100% santé ?
Techniquement, ces risques sont extrêmement anti-sélectifs donc difficilement « assurables », surtout dans le cadre de la résiliation infra- annuelle. Quant aux frais de gestion et d’acquisition des complémentaires, ils deviendraient, proportionnellement, encore plus élevés, induisant le non-intérêt à souscrire ce type de complémentaires : le financement direct serait alors moins onéreux.
Ce scénario pose, surtout, une énorme question stratégique de financement, notamment pour les ayants-droits et les retraités. Plusieurs pistes sont évoquées pour financer le basculement entre AMO et AMC :
• La hausse des cotisations patronales ; • La hausse de la CSG; • La hausse de la TVA ou, plus généralement celle des ITAF ;
Sans parler du devenir des exonérations fiscales et sociales dont bénéficient les régimes collectifs et obligatoires actuellement. Si celles- ci venaient à disparaître, l’augmentation des salaires se révèlerait plus pertinente que l’assurance de soins « programmables ».
Pour autant, ces trois pistes posent, toutes, des difficultés opérationnelles majeures. En effet, ne faire cotiser que les actifs se traduirait – d’après les études actuarielles – par un quasi triplement du tarif du 100% santé pour les actifs ; lesquels auraient, parallèlement, une perte de leur niveau de couverture.
Et comment faire cotiser les retraités : en % des revenus ? par la hausse de la CSG ? à l’âge atteint ? mais est-ce compatible avec les règles du régime de base ? ou forfaitairement ? ce qui se traduirait par une hausse inacceptable pour les jeunes retraités au profit des plus anciens.
Enfin, si ce scénario présente un avantage certain en matière de financement des soins, elle implique une totale refonte de notre système de santé et la nécessité soit d’améliorer certaines bases de remboursement soit de prendre en charge certains dépassements. Lesquels ? A quelle hauteur ? et avec quels financements ?
La piste de désimbrication des champs AMO et AMC
Ce scénario consisterait, cette fois, à séparer la couverture des risques, non pas entre base et complémentaire, mais par nature de risques. L’idée serait de séparer :
• L’hospitalisation et les soins de villes (hors dépassements) • De l’optique, dentaire, audio et médicaments à SMR moindres
Il s’agirait d’améliorer la prise en charge des tarifs de responsabilité pour certaines populations (CSS, moins de 18 ans, ALD, etc.) en laissant aux AMC la prise en charge des autres prestations.
Si ce scénario semble plus compréhensible et cohérent au regard de la mission de service publique de la Sécurité sociale, il pose, lui-aussi, la question de l’assurabilité des risques laissés aux assurances « supplémentaires ».
Dans ce cas, les postes prothétiques sortiraient du panier de soins public, quand le régime de base y contribue pour l’heure de manière non négligeable en dentaire et en audio, alourdissant d’autant le coût de la prise en charge par les complémentaires.
Par ailleurs, l’assurance des risques prothétiques que sont l’optique, le dentaire et l’audio est problématique car ces postes relèvent davantage d’un besoin de financement que d’un besoin d’assurance. En effet, ces dépenses pouvant être planifiées et étant prévisibles, les assurer est antinomique avec la définition même de l’assurance.
Les assureurs qui avaient mis en place des renforts sur ces postes y ont laissé des pertes significatives. En d’autres termes, le financement direct de ces dépenses se révèle moins coûteux que leur assurance par une complémentaire, surtout si celle-ci devient facultative. Quant aux médicaments à SMR faibles ou modérés, leurs coûts sont parfaitement acceptables, rendant la mutualisation d’autant plus inutile qu’il ne s’agit pas de soins indispensables.
Par ailleurs, le HCAAM évoque la nécessité de prévoir de nouveaux mécanismes de régulation qui semblent d’autant plus difficiles à concevoir techniquement que : • Ces postes relèvent davantage d’un besoin de financement que d’un besoin de mutualisation ; • Limiter les dérives tarifaires potentielles de ces types de soins serait utile ; • Des études juridiques de faisabilité seraient nécessaires • Les provisions actuarielles de l’assurance vie ne sont pas modélisables pour la complémentaire santé qui est un risque non- vie ; sur ce point, l’avis de l’ACPR serait le bienvenu.
Dans ce cas, les OCAM et les professionnels de santé devraient coopérer pour répondre aux besoins (autant qu’aux moyens) des populations concernées.
Si cette piste présente la vertu de maintenir, voire d’améliorer les solidarités existantes sur le champ recentré de l’AMO, elle ouvre une dérive sur les postes qui ne seraient plus pris en charge et pose donc la question des inégalités d’accès aux soins via ces deux systèmes.
Le scénario d’un statu quo amélioré
Le troisième scénario consisterait à maintenir l’actuel fonctionnement, avec des réformes visant à corriger des difficultés identifiées depuis longtemps. L’idée assez ancienne du bouclier sanitaire est ici reprise ; reste à en préciser les modalités d’activation et de fonctionnement. Le principe consisterait à lisser le reste à charge ; mais comment ?
Aucun modèle actuariel n’a été prévu pour ce faire et il apparait délicat d’en imaginer un dans le cadre d’un marché concurrentiel.
La possibilité d’intégrer une forfaitisation du reste à charge hospitalier est évoquée, sans information supplémentaire sur cette proposition dont la faisabilité semble contradictoire avec la T2A.
Dans la continuité du système actuel, la CSS pourrait également servir de levier pour limiter les difficultés de couverture de certaines populations. Il s’agirait d’élargir la cible qui est – d’ores et déjà – de 10 millions de personnes, notamment pour les retraités qui subissent la tarification à l’âge des complémentaires santé.
Par ailleurs, les travailleurs précaires seraient concernés en : • Revoyant les clauses de dispense pour CDD et temps partiels ; • Envisageant un « chèque santé » ; • Prévoyant une prise en charge à 100% par l’employeur pour les salariés dont la cotisation représenterait plus de 10% de la rémunération brute.
Si ces systèmes sont techniquement viables, encore faut-il en peser le coût pour les entreprises ou pour le fonds CSS... c’est-à-dire les taxes pesant sur les complémentaires ! Faut-il préciser que plus les taxes sont élevées en complémentaires santé, moins il devient pertinent de s’assurer. En quoi est-il pertinent de financer les soins courants à un taux dépassant largement le taux d’usure ?
Enfin, si ces règles devaient s’appliquer aux fonctionnaires, à la faveur de la généralisation de la complémentaire santé pour cette population, elles pourraient se révéler coûteuses pour les pouvoirs publics et les collectivités locales... lesquelles devraient préférentiellement choisir d’allouer le budget d’assurance santé à la prévoyance.
L’encadrement renforcé des Ocam est envisagé
Le dernier scénario consisterait à renforcer la standardisation des contrats de complémentaires santé dans le droit fil du panier de soins minimum ANI. Rappelons tout d’abord que ce panier de soins minimum ainsi que le contrat « dit » responsable sont loin d’être raisonnables puisqu’ils imposent la prise en charge intégrale de frais acceptables financièrement.
A l’inverse, ils laissent des restes à charges de plus en plus préoccupants en hospitalisation ; ce qui est antinomique avec la définition même de l’assurance ainsi qu’avec le principe de «libre circulation des personnes et des biens ».
Une étude juridique serait pertinente sur ce scénario.
Précisons que du fait de cet encadrement contraignant, de nombreux organismes assureurs se retirent du système de la CSS, tout comme certaines branches ont des difficultés à trouver preneur dans le cadre de la recommandation.
Pire, si les tarifs devaient être imposés aux AMC, par exemple en interdisant la tarification à l’âge, cela conduirait : • Certains acteurs à ne cibler que les plus jeunes ; • Certains profils d’assurés à ne plus trouver de couverture
L’idée d’une péréquation via un fonds est techniquement inenvisageable car, dans le cadre d’une gestion annuelle et de la RIA, la formule d’estimation ne saurait exister. Là encore, le rapport manque de modélisations actuarielles pour résoudre ces contraintes, d’autant qu’une telle péréquation rendrait le risque santé assimilable à un risque de nature viagère, très coûteux sur le plan prudentiel en SCR.
Quant à la différenciation par l’offre servicielle, elle est peu pertinente. En effet, tous les grands acteurs proposent déjà leurs services et ne pas en proposer conduit, tout simplement, à une perte de parts de marché...
Enfin, le statut de SIEG – service d’intérêt économique général – semble juridiquement contestable hors du cadre de l’assurance obligatoire-obligatoire telle que la Sécurité sociale : une étude juridique reste donc à mener sur ce sujet.
Le véritable sujet reste la prévoyance
Le HCAAM intègre une réflexion sur la prévoyance. Si l’idée d’imposer une négociation au niveau des branches est intéressante, elle reste problématique : • En cas de reprises d’encours importants ; • Dans un contexte économique complexe induisant une hausse de l’arrêt de travail ;
Si l’idée de revenir aux clauses de désignation pour ce faire est intéressante techniquement, reste à en mesurer la faisabilité en termes juridiques.
Ne serait-il pas préférable de réfléchir à la question épineuse des reprises de passifs générés par l’article 2 de la loi EVIN ? Lors de la mise en place d’un régime cet article impose (modulo les discussions juridiques sur ce point) de prendre en charge « les états pathologiques antérieurs » ; ce qui génère des reprises de passifs si coûteuses qu’elles sont à un frein à la mise en place de couverture d’arrêt de travail.
Deux pistes pourraient être explorées : • De réécrire l’article 2 de la loi Evin afin de pouvoir mettre en place une couverture pour le futur seulement ; • Ou, mieux, de mutualiser les reprises d’encours au niveau du régime de base de la Sécurité sociale : une idée beaucoup plus pertinente que de prendre en charge le TM sur certains soins abordables.
En conclusion, ce rapport devrait tranquilliser plutôt qu’inquiéter les organismes complémentaires. Tout d’abord quant à leurs chiffres d’affaires en santé puis parce qu’il laisse espérer une généralisation en prévoyance.
Reste à trouver une solution sur les risques en cours, sujet oh combien plus préoccupant que le remboursement de nouvelles montures de lunettes à la mode ! Rappelons qu’un invalide sans complément de revenu avec une mutuelle risque de renoncer aux soins davantage qu’un invalide sans mutuelle mais bénéficiant d’un maintien de revenu...
- Ainsi, peut-être, serait-il pertinent de proposer une ouverture sur les bases techniques suivantes :
- Favoriser la prévoyance par la mutualisation des encours ;
- Permetttre des franchises en santé ;
- Accroitre la coopération avec les professionnels de santé ;
- Créer une garantie dépendance dans le régime de base.
Le débat est ouvert !
Anne MARION
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