Assurance vie : Vers un scénario à la japonaise ?

jeudi 10 octobre 2019
Image de Assurance vie : Vers un scénario à la japonaise ?

INFOGRAPHIE - Voilà maintenant près de trois mois que les taux de l'OAT française naviguent en territoire négatif et près de 5 ans qu'ils n'ont plus franchi la barre des 2%. Une situation qui laisse craindre la survenance d'un scénario à la japonaise.

En 2014, l'ACPR publiait une note de synthèse sur le secteur de l'assurance vie au Japon durement éprouvé par la faiblesse des taux bas de long terme dans les années 90. Déjà à l'époque, le régulateur soulignait que « le contexte actuel de faiblesse des taux d’intérêt de long terme pourrait faire craindre que le secteur de l’assurance-vie ne connaisse des difficultés similaires à celles des assureurs-vie japonais dans les années 1990 ».

Cinq ans après la situation s'est encore dégradée puisque pour la première fois dans l'histoire de l'OAT, en juillet, le taux à 10 ans est passé en territoire négatif. « Si la situation persiste, il va y avoir des morts », alerte le dirigeant d'un groupe de protection sociale. Ce fut d'ailleurs le cas au Japon. 7 assureurs avaient fait faillite entre 1997 et 2001. Un 8e en 2008 pour un coût total pour la collectivité de 0,7% du PIB.

Enrayer la collecte sur le fonds euros

Les premiers signes de difficultés se font jour. Mercredi, les Échos révélaient ainsi qu'Arkéa a été contraint de recapitaliser sa filiale d'assurance vie à hauteur de 540M d'euros. Si le bancassureur se veut rassurant, les messages d'alerte sur l'assurance vie, et plus particulièrement le fonds euros, fusent de toute part depuis, notamment, la sortie du patron de Generali France sur le sujet. « Les taux servis devront baisser, pour tenir compte de la diminution des rendements, et permettre aux assureurs de tenir leurs engagements. Mais ces taux resteront positifs », a pour sa part déclaré François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

Certains assureurs ont d'ores et déjà pris des mesures pour limiter la collecte. Cet été, Crédit Agricole Assurances a revu sa tarification pour l’entrée sur les fonds euros en les fixant à minimum 2% pour inciter les épargnants à se positionner sur des placements plus risqués. Même stratégie opérée par le groupe MACSF depuis plusieurs années pour limiter les versements sur les fonds monosupports. Generali France souhaite conditionner le versement sur les fonds euros à une quote-part réservée aux unités de compte. Car force est de constater que la collecte en unités de compte plafonne ces derniers exercices. Après 28% en 2018, le niveau d'UC est retombé à 24% depuis le début de l'année et même 21,5% en août dernier. « Malgré la hausse du cours des actions depuis le début de l’année, les ménages restent très averses aux risques et privilégient les fonds euros », explique Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne.

« Tout comme pour les contrats japonais des années 1990, la rigidité des valeurs de rachat des produits français (de type contrats en euros), ne leur permettent pas de s’ajuster en fonction de l’évolution des valeurs de marché. Même si ce risque de rachat ne s’est jusqu’à présent pas matérialisé pour les produits d’assurance, il ne peut pas être écarté. Le marché français est également caractérisé par le niveau élevé de la valeur de rachat par rapport aux provisions mathématiques, ce qui constitue un facteur de risque de liquidité pour l’assureur », pointait déjà l'ACPR en 2014.

Pourtant, certains assureurs-vie restent confiants pour l'avenir. « Nous avons suffisamment de PPB pour maintenir les taux de rendement servis aux épargnants », confie un dirigeant mutualiste. En 2018, le niveau moyen de provisionnement de la participation aux bénéfices s'est ainsi établi à 4,3% des provisions mathématiques, pour un taux moyen de revalorisation de 1,83%.

« Pour nous, le contexte des taux négatifs est un contexte passager » sur lequel « on ne fonde pas une stratégie en assurance vie », lançait Gérard Bekerman, président de l'Afer, interrogé par l'AFP.

Les assureurs-vie se retrouvent à jouer les funambules entre un taux de rendement de l'actif en nette baisse, et des rendements qu'ils tentent de maintenir au-dessus de l'inflation. L’objectif : limiter la baisse des taux de rendements réels servis aux assurés.

5 mutualistes parmi les 7 assureurs qui ont fait faillite

Si le contexte de taux rappelle donc celui du Japon dans les années 90, les assureurs en France semblent mieux armés pour résister que leurs homologues nippons. Plusieurs points avaient en effet causé leur perte. Les pouvoirs publics japonais misant sur une reprise économique avaient incité les assureurs-vie à poursuivre une politique de collecte d'épargne individuelle agressive jusqu'au milieu des années 1990. Ils avaient « demandé le maintien de taux garantis supérieurs au rendement des actifs, souhaitant enrayer la chute des nouvelles souscriptions pour retarder la constatation de moins-values dans les comptes des assureurs », rappelle l'ACPR. Un système de Ponzi s'était alors mis en place. Les flux entrants étaient utilisés pour financer les pertes des contrats antérieurs. Les organismes d'assurance-vie mutualistes reversaient ainsi jusqu'à 99% de leurs bénéfices issus des plus-values boursières se retrouvant dans l'incapacité de constituer des réserves.

Et en 1997, la faillite de Nissan Mutual Life a précipité le marché nippon de l'assurance-vie dans la crise. Ont suivi Toho Mutual Life en 1999, puis Daihyaku Mutual Life, Taisho Life, Chiyoda Mutual Life et Kyoei Life en 2000 et enfin Tokyo Mutual Life en 2001, soit 5 mutualistes sur les 7 défaillances.

Contenus suggérés