Éric Chenut : "Je veux être le président de toutes les mutuelles"
INTERVIEW – Éric Chenut, vice-président de la MGEN, officialise sa candidature à la présidence de la Mutualité Française et démarre un tour de France pour aller à la rencontre des militants mutualistes.
Vous avez présenté votre candidature à la Mutualité Française. Quels sont vos projets de campagne d’ici l’assemblée générale du 5 octobre ?
A partir du 21 juin, je démarre un tour des régions : Pays de la Loire, Île-de-France, Normandie, Rhône-Alpes, PACA… dès la semaine prochaine jusqu’à mi-juillet. Puis, je reprendrai la route vers le 20 août. Je suis convaincu que c’est au plus proche des territoires que l’on perçoit le mieux la plus-value de l’action mutualiste. Je souhaite aller à la rencontre des représentants mutualistes dans leur territoire, les écouter sur leurs diagnostics pour les OCAM, pour les risques longs, les services de soins et d’accompagnement mutualistes, la prévention…, voir comment ils se projettent pour saisir de nouvelles opportunités d’actions et de développement, notamment par le numérique en santé, sans oublier la manière de réagir collectivement au regard du contexte législatif, prudentiel, les besoins d’évolution du système de santé, de son organisation et son financement… J’ai prévu de me nourrir de leurs réflexions pour enrichir le projet de mandature dont je souhaite une élaboration participative et collective pour fixer nos priorités pour les années qui viennent.
Comment êtes-vous arrivé en Mutualité ?
Je suis originaire de Nancy, engagé en Mutualité depuis 1994, d’abord dans la Mutualité étudiante en Lorraine. J’ai découvert par hasard l’engagement en Mutualité, en donnant un coup de main sur les actions de prévention sur le sida en milieu étudiant, puis sur les addictions et la vie affective et sexuelle. Nous avons formé des étudiants à la prévention santé pour mener des actions dans les lycées. Je crois beaucoup à la prévention par des pairs. J’ai vu que la LMDE, dont j’ai été président fondateur en 2000, a repris quelques années plus tard cette méthodologie. J’en suis fier.
Qu’est-ce qui vous motive dans l’engagement mutualiste ?
Je suis attaché d’administration, conseiller technique RH d’un rectorat à Nancy. J’ai intégré la MGEN en 2003. L’engagement en Mutualité me correspond car il est extrêmement concret. Cela m’a permis de disposer de moyens pour mener des projets, même quand j’avais des responsabilités au niveau local. Nous devons être efficients, professionnels et organisés dans les différents métiers qui sont les nôtres (la complémentaire santé, la prévoyance, l’épargne retraite, la gestion d’établissements de santé). Mais nous devons conserver cette capacité à être et faire ensemble, à prendre des initiatives et agir pour le bien commun.
Pensez-vous que le mouvement mutualiste est assez représentatif de la société française ?
La Mutualité est une fabrique de liens, nous concourrons à la cohésion sociale de manière effective. Nous sommes un des derniers espaces où des femmes et des hommes d’horizons différents agissent et militent ensemble. Nous avons progressé en matière de parité, grâce à « mut’elles » que promeut activement notre secrétaire générale, Dominique Joseph, mais il nous reste des efforts à faire, ainsi que pour faire connaître le mouvement auprès des jeunes. Les manières de s’engager ne sont plus les mêmes qu’il y a quelques années. Aujourd’hui, les gens veulent s’engager sur un projet ou une action et pas forcément dans l’objectif de faire partie d’un conseil d’administration pendant 6 ans. Il faut qu’on crée les conditions de l’innovation sociale et donner la possibilité de s’engager de façon ponctuelle sur un projet, de participer à une réflexion collective…
Vous avez milité en faveur des minorités. Est-ce que votre histoire personnelle, votre handicap, couleur de peau sont votre force ?
J’ai perdu la vision de l’œil gauche à 5 ans et de l’œil droit à l’âge de 23 ans, pendant mes études de droit, à cause d’une pathologie. Cela m’a bousculé évidemment. J’ai construit ma résilience en restant ce que j’étais : un homme engagé dans la cité, soucieux d’être utile. Je me suis engagé pour l’égalité, pour l’inclusion, convaincu que c’est par l’universalisme de la fraternité républicaine, par la solidarité et la laïcité que l’on peut vivre ensemble, se réaliser et être heureux, quelles que soient nos identités, nos singularités. Je crois avoir démontré mes compétences et je ne pense pas avoir obtenu ces fonctions grâce à mon handicap. Je me suis efforcé à démontrer mes capacités à l’aune du travail fourni. Pendant longtemps, je n’ai pas parlé de mon handicap car j’estimais que c’était personnel. Et puis, il y a une quinzaine d’années, j’ai présidé le collectif inter-associatif et inter-handicap « Droit au savoir » pour inciter des jeunes en situation de handicap à poursuivre leurs études le plus longtemps possible. Ces jeunes m’ont fait changer d’avis car je me suis aperçu que j’avais une responsabilité en tant que personnalité publique. Je me suis dès lors obligé à fendre l’armure, à en parler, alors que ce n’est pas naturel chez moi, par pudeur.
Votre image est forcément associée à la MGEN, que vous avez rejoint en 2003 et dont vous êtes vice-président. Pourquoi briguer la présidence de la FNMF ?
J’ai un attachement fort à la MGEN, j’y ai beaucoup appris, et je suis fier de ce que j’ai contribué à construire avec des femmes et des hommes qui font la mutuelle au quotidien, élus, militants et salariés. Mon engagement mutualiste est multiple autant que pluriel depuis plus de 25 ans. J’ai été très engagé à la création du groupe Vyv en 2017 aux côtés notamment de Joseph Deniaud, Thierry Beaudet, Stéphane Junique. Au début de mon parcours, j’ai participé au mouvement des mutuelles étudiantes, et j’ai été durant de nombreuses années activement engagé au sein d’unions mutualistes en Lorraine. J’ai un regard complémentaire des différents champs et périmètres d’actions et d’engagements en mutualité ; si demain l’ensemble des mutuelles me font confiance, je consacrerai toute mon énergie à représenter l’ensemble du mouvement dans sa diversité et sa richesse. Je me sais capable de dépasser mon organisation d’origine pour représenter et fédérer toutes les mutuelles et toutes les unions.
A l’aune des élections présidentielles, vous serez attendu sur le rôle des mutuelles dans la protection sociale de demain. Quelles sont vos propositions ?
Nous y travaillons d’ores et déjà sous l’impulsion de Thierry Beaudet, et Daniel Havis, avec l’appui des services de la Fédération dirigée par notre nouvelle directrice générale Séverine Salgado. Plusieurs questions cruciales sont devant nous, comme le numérique en santé ou encore la santé environnementale. Nous portons l’ambition, au travers d'un projet piloté par Nicolas Gomart, de créer le pendant en mutualité du Health Data Hub, afin de faciliter la recherche et d’imaginer les services de demain. Sur la protection sociale, un groupe de travail piloté par Patrick Sagon travaille actuellement pour contribuer à la réflexion du HCAAM afin de faire des propositions à l’automne. Nous avons la capacité de contribuer à l’efficience du système de santé. Nous avons été contestés dans notre capacité à conventionner avec les professionnels de santé via les réseaux de soins, bien que nous ayons ainsi permis de réduire le reste à charge. Nous avons un rôle à jouer pour aider à orienter les adhérents vers le bon soin au bon moment pour éviter les soins inadéquats.
Est-il légitime d’augmenter la taxe covid en 2021 ?
Les cotisations mutualistes ne sont pas faites pour lever l’impôt. Face aux conséquences de la crise sanitaire, on a fait des propositions, comme en mars dernier, lorsque nous avons décidé de prendre en charge les consultations psychologiques. La crise sanitaire a révélé une vraie fragilité en matière de santé mentale dans le pays. Par cette initiative nous démontrons notre capacité d’initiative et d’actions, nous répondons à un besoin en en solvabilisant l’accès. L’utilité sociale me semble incontestablement plus forte que de s’acquitter d’une taxe.
Pensez-vous que cet argument va suffire pour éviter une surtaxe en 2021 ?
Faut-il faire des ajustements budgétaires ponctuels ou bien construire des solutions dans la durée ? Si on constate qu’il y a des renoncements aux soins, ne vaut-il mieux pas co-construire des solutions utiles à l’intérêt général, pour réduire les inégalités en santé plutôt que de raisonner à court terme par des variations de taxes ? Les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB. Si on fait un virage vers la transition écologique, est-ce que les modes de financement peuvent rester les mêmes ? Se dire qu’on va régler la question du pays en modulant une taxe à plus ou moins 500 millions ne me semble pas à la hauteur des enjeux. Il faut trouver les bons ajustements, élever le niveau du débat. Un de nos enjeux c’est d’associer les assurés sociaux dans les grands choix de société comme les buts assignés au système de santé et la manière de le financer.
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