Julien Guénot : "Assuratome concourt à la sureté nucléaire tricolore"
INTERVIEW – Président d’Assuratome depuis 2021, Julien Guénot explique en détails à News Assurances Pro le fonctionnement du pool de co-réassurance nucléaire français. Entre niveaux de risques et sinistralité, le dirigeant d’Axa XL revient également sur l’approche du risque atomique dans le monde. Et sur le rôle d’Assuratome dans l’accompagnement du développement de l’énergie nucléaire en France.
Quelle est votre vision du risque nucléaire aujourd’hui ?
Le nucléaire, c’est très simple, c’est un risque qu’il faut mutualiser très largement. Pris individuellement, aucun assureur privé ne dispose des moyens nécessaires à une bonne maîtrise de ce risque comme il peut le faire pour d’autres activités industrielles. Néanmoins, c’est un sujet stratégique, notamment vis-à-vis du positionnement énergétique de la France.
Par conséquent, la question s’est posée de faire entièrement supporter ce risque par l’État - et donc par le contribuable – ou bien d’essayer d’inciter l’assurance privée à participer à la couverture d’une partie de ce risque, notamment via une forme de partenariat public-privé. C’est là qu’entre en jeu Assuratome. À travers ce pool, la contribution de l’assurance privée concourt à la sureté nucléaire tricolore qui est aujourd’hui extrêmement contrôlée.
Justement, comment fonctionne Assuratome aujourd’hui ?
Assuratome est un pool de co-réassurance formé par 33 compagnies, mais c’est d’abord un GIE. Il ne porte donc pas de risques mais les gère pour le compte de ses membres. Le pool se positionne sur un risque qui n’est ni acceptable par l’assurance privée en "stand alone", ni totalement accepté en rétention par la garantie de l’État. Ce dernier délivre donc une autorisation particulière aux co-réassureurs de mutualiser à grande échelle des besoins d’assurance sur un produit de niche permettant de couvrir un risque majeur et spécifique.
Pour devenir membre d’Assuratome, il est nécessaire d’avoir toutes les qualités de solvabilité et de capital requis par Solvency 2, dont les critères sont revus tous les ans. Il faut surtout avoir un intérêt pour la matière nucléaire. La mission du pool est de provisionner des catastrophes sur une très longue période. Depuis deux ans, Assuratome enregistre un chiffre d’affaires de l’ordre de 80M d’euros.
Comment couvrez-vous finalement le risque nucléaire ?
Lorsque l’on évoque le nucléaire, Tchernobyl ou Fukushima et les risques liés aux centrales et à l’énergie atomique sont spontanément dans tous les esprits. Mais le secteur médical, à l’instar d’autres industries est également une importante pourvoyeuse de sources de radiation (mesures, traitements, scanners, radios, etc).
Si ces activités sont exclues des contrats d’assurance classiques, des solutions de couvertures existent auprès d’Assuratome. Cela passe par exemple par des produits RC exploitant nucléaire, RC transport nucléaire ou encore dommages et construction (notamment lors de travaux d’extension et de mise à niveau). Un produit RC prestation nucléaire, qui concerne les filières et l’écosystème de cette industrie - avec notamment tous les prestataires qui assurent la maintenance des installations - est par ailleurs à l’étude.
Quel est aujourd’hui le niveau de sinistralité sur le risque nucléaire ?
Il y a sur ce risque une probabilité de survenance très faible en raison de la qualité des risques garantis. Même si la couverture de l’ensemble du spectre revêt un caractère d’extrême gravité, Fukushima et Tchernobyl sont les deux seuls accidents nucléaires majeurs de ces 50 dernières années.
Pour autant, il y a une sinistralité récurrente chaque année, avec des événements tels que de petites fuites sur des installations. Cela peut aussi concerner des dommages liés à l’évolution du génie civile de ces structures ou encore des sources ionisantes qui touchent des patients, notamment dans les hôpitaux. In fine, on parle d’un ou plusieurs sinistres tous les ans pour Assuratome.
De quelles capacités dispose aujourd’hui le pool de réassurance et sur quels types de sinistres intervient-il ?
Il y a un cahier des charges extrêmement strict à respecter. À partir du moment où l’on entre dans le cadre de la convention de Paris, la RC objective d’un exploitant requiert un minimum de garantie de 700M d’euros. En dommages / construction, les montants d’indemnisation se situent à l’échelle des sommes assurées, à ceci près que le coût du changement d’un cœur de réacteur nucléaire n’est pas le même que celui du sous-sol d’un immeuble… Aujourd’hui, Assuratome, grâce à sa capacité propre et à celle des autres pools est capable d’atteindre 700M d’euros en RC.
Certes, les besoins en dommage pour le marché et les grands clients français de la filière vont bien au-delà de ces montants, mais l’ensemble des pools mondiaux qui fonctionnent sur le modèle d’Assuratome ont un principe de solidarité de rétrocession entre eux. Cette solidarité n’est pas obligatoire et fonctionne à la discrétion de chacun des pools et de leurs membres afin de compléter les montants requis. Sans ce système de mutualisation entre pools, les États devraient remettre au pot.
Le risque nucléaire est soumis à plusieurs conventions nationales et internationales ? Dans quelles mesure ces dernières impactent-elles l’intervention du pool ? y a-t-il des plafonds d’indemnisation ?
Comme expliqué précédemment, la convention de Paris établit en RC un premier montant d’indemnisation minimum à 700M d’euros apporté par les pools nationaux. Il y a ensuite un deuxième palier ou l’État apporte 500M d’euros supplémentaires, puis un troisième de 300M apportés par les Etats signataires de la convention qui s’auto-mutualisent. Ce régime permet donc de couvrir en RC un incident allant jusqu’à 1,5Md d’euros. En cas de "big bang", il faudra bien évidemment additionner les dommages.
La convention de Paris a évolué l’an dernier, avec l’entrée de l’Italie parmi les pays signataires, pour intégrer les nouveaux montants et les nouveaux chefs de préjudice décidés en 2004. Dans ce cadre, le délai de prescription est passé de 10 à 30 ans pour le préjudice des victimes, notamment sur les dommages corporels et sur les réparations en cas de décès ou de maladies liées à des rayonnements. Tous les États n’ont pas réagi de la même manière à la révision de cette convention. La France est un des seuls pays où son pool et l’État ont maintenu une couverture complète en adéquation avec les nouvelles exigences effectives depuis le 1er juillet dernier.
Il existe aussi d’autres conventions (Bruxelles, Varsovie et Vienne) qui concernent des États non-signataires des accords de Paris, et qui via des mécanismes différents, atteignent aussi jusqu’à 1,5Mds d’euros de capacité d’indemnisation.
Quid de la souscription des polices et de la gestion des sinistres ?
Chaque membre assureur ayant un besoin de couverture nucléaire (de la petite police source à la couverture RC d’une grande centrale) demande le support d’Assuratome. Au sein du pool, Axa XL est actuellement le principal fronteur à opérer sur la RC nucléaire 100% réassurée par Assuratome, grâce à notre expertise (connaissance de ce type risque, capacité de gestion de crise à grande échelle, plateforme de gestion de sinistres, etc) en la matière.
Pour autant, les équipes d’Assuratome ont, elles aussi, une solide expertise technique et commerciale qui permet si besoin de soutenir la cédante, d’une part sur les polices et les programmes qu’elle souhaite mettre en place et d’autre part sur la gestion des sinistres. Autour d’Henri Gurs, son directeur général, les souscripteurs et juristes d’Assuratome sont pour la plupart de grands sachants issus de la filière sous-marine, avec une très forte expertise et une grande proximité avec l’ASN.
Quel est aujourd’hui le niveau d’échange entre pools à travers le monde ?
Même sur ce type de données extrêmement sensibles, la communauté arrive à générer du "knowledge" autour du risque nucléaire, à anticiper de nouveaux risques et à aboutir à des accords de bonnes pratiques. C’est notamment le retour d’expérience de Fukushima qui a permis de reconfigurer le calibrage de la convention de Paris au regard des préjudices.
Certains pools sont très différents, avec des structures qui n’achètent que de la réassurance sans prendre de parts. Assuratome est par exemple le plus gros pool d’Europe continental (qui fait la part belle à la co-réassurance), devant le Nuklearpool suisse. On trouve encore d’autres formes de groupements, notamment au Royaume-Uni où le Nuclear Risk Insurers (NRI) est un agent souscripteur et c’est encore différent aux États-Unis.
Quels sont aujourd’hui les objectifs de développement d’Assuratome ? Le pool a-t-il vocation à grossir davantage ?
L’objectif d’un pool comme Assuratome est d’accompagner la transition énergétique du pays et garantir que les installations fonctionnent. Aujourd’hui, s’il n’y a pas de pool pour faire face à une exposition de RC à plus de 700M d’euros, les centrales ne tourneraient pas. Ensuite, quand l’État français ambitionne de développer des EPR avancés et des petits réacteurs SMR, nous devons nous préparer à de nouveaux profils de risques des actifs assurables. Il en va de même avec la question de la prolongation de la durée de vie de certaines centrales.
Ce plan est stimulant pour Assuratome qui va devoir également regarder de près un autre sujet corollaire sur la filière nucléaire. En effet, chaque sous-traitant, prestataire ou entité qui va vouloir contribuer à cet écosystème cherche dès aujourd’hui à staffer ses équipes rapidement et ce mouvement va lui aussi alimenter le risque RC nucléaire.
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