Mutuelles étudiantes : "Je suis là pour checker si tout va bien"
REPORTAGE : Isolement, précarité, sédentarité… Les mutuelles étudiantes ont adapté leurs actions de prévention santé à destination des jeunes suite à la crise sanitaire. Nous avons accompagné une équipe dans une résidence universitaire parisienne.
[gallery type="slideshow" size="full" ids="1442946,1442947,1442948,1442952,1442945,1442950,1442953,1442954,1442951,1442949"]Il est 18h15, alors qu'on pourrait croire qu'il est 3 heures du matin. Les ruelles du quartier latin sont désertes en ce soir glacial de février. Depuis octobre, le Café Descartes n’accueille plus des étudiants à la sortie des cours. A deux pas de là, dans la résidence Coubertin, chacun est dans sa chambre. Les parties communes de ce bâtiment pour filles sont fermées à cause du Covid. A l’entrée, trois jeunes en service civique attendent le quatrième. Ils portent un masque de « La mutuelle des étudiants » (LMDE) et un sweat fuchsia avec la mention « Jeune relais santé ».
L’équipe au complet, ils commencent leur tournée, en groupes de deux. Daphné, étudiante en philo et Chaska, ostéopathe en devenir, empruntent un couloir aseptisé. Daphné s’arrête devant la chambre 105 et sonne. « Bonjour, c’est Cité Zen, un dispositif de prévention santé. Je suis là pour checker si tout va bien et comme c’est la première fois, je t’offre un tote bag plein de goodies. Tu y trouveras une balle anti-stress, des préservatifs internes et externes, un éthylotest, une réglette d’alcoolémie… ».
« Mais à quoi ça sert un gynécologue ? »
Un peu plus loin, Chaska toque chez une étudiante qu’elle a déjà vue trois semaines plus tôt. Dès que la porte s’ouvre, une forte odeur de renfermé embaume le couloir. Des emballages de MacDo s’entassent dans l’entrée. « On s’est rencontré il y a trois semaines, je viens voir comment tu vas ». Hagarde, l’étudiante répond : « Ça va. J’ai toujours un problème avec ma bourse ». « Tu connais les épiceries solidaires ? Voici quelques adresses. Tu peux y aller pour faire tes courses pour pas cher. Et sinon, les cours à distance, ça va ? ». « J’en ai un peu marre ». « Alors, je te conseille d’aller à la maison des initiatives étudiantes de la mairie. Il y a des ordinateurs et la possibilité de travailler en groupe. Et sinon, tu as un déclaré un médecin traitant à Paris ? » « Je n’ai pas vu un médecin depuis la première ». « C’est important d’y aller de temps en temps, pour faire un check-up, voir si tout va bien. T’es déjà allée voir un gynéco ? ». « Jamais fait ! ». « Alors, c’est important d’y aller une fois par an. Par contre, fais attention à prendre un médecin de secteur 1, sinon tu vas payer plus cher. Tu connais Doctolib ? Si tu veux, je peux te montrer comment ça marche ». « Mais à quoi ça sert un gynécologue ? » « Alors, le gynéco vérifie que tout est en ordre au niveau de ton vagin. Il peut te donner des conseils pour la contraception, la grossesse. Il faut y aller tous les ans et à partir des 25 ans il faut faire un frottis…»
En partant, Chaska remplit un compte-rendu avec son téléphone. Elle coche, entre autres, la case « manque d’entretien et propreté du logement ». Depuis cette année, après chaque entretien, l’étudiant remplit son rapport avec son smartphone, via un formulaire Google Forms. Toutes les données sont ensuite centralisées. Cela permet à la LMDE de publier des études sectorielles.
« Si tu as un coup de mou, on est là »
Deux portes plus loin, Daphné demande : « Ça va ? Pas trop dur en ce moment ? ». L’étudiante en langues en face répond : « J’ai du mal à trouver un stage ». Encore plus loin, une étudiante étrangère confesse en anglais : « Cela fait deux ans que je suis en France et je n’ai pas encore d’ami français ». Une autre lâche : « Je tiens le coup, mais pour une première année en France, cela n’a pas été facile. Heureusement, je suis en prépa en présentiel et cela me permet d’éviter le décrochage ». « Si tu as un coup de mou, on est là », dit Daphné en partant.
Le silence retentit aux étages. Derrière une porte anti-incendie, une résidente en pyjama bondit, effrayée. Elle ne s’attendait pas à croiser qui que ce soit. Chambre 430, Pauline, en stage de communication, se plaint : « En ce moment, je rentre, je mange, je checke les réseaux et je dors. Je ne vois personne. C’est fatigant. Le quartier est sympa quand il n’y a pas le covid. J’avais un groupe de potes, mais c’était toxique et cela m’a saoulé ». « Essaie de prendre un jour off entre ton stage et les examens, sinon tu vas craquer ». « J’ai déjà craqué plusieurs fois ». « Ici, tu trouveras des soutiens psychologiques gratuits pour les étudiants. Si tu as envie de parler à quelqu’un, je te conseille d’aller en CMP. J’ai testé pour toi, les gens sont bienveillants », suggère Daphné. « Merci, j’y penserai. C’est gentil d’être passée ». « A dans trois semaines ! ».
Daphné remplit son rapport en deux minutes. Elle travaille deux soirs par semaine, de 18h30 à 21h, et gagne 580 euros via le service civique, financé en majorité par l’Etat et en petite partie par la mutuelle étudiante. Après 30 entretiens, elle déclare : « Je me sens utile, à ma place. Nous avons le même âge et on aborde des problématiques qui nous concernent tous. Ici, en plus, il n’y a que des filles et c’est plus facile d’avoir une certaine complicité ».
Boire seul dans la chambre
Depuis la crise sanitaire, la durée des entretiens s’est rallongée. « Les étudiants nous ouvrent la porte plus facilement. Nous sommes là pour leur faire prendre conscience de leurs problèmes et pour les orienter dans le système de soins. Avec le confinement, nous avons détecté de nouvelles addictions à l’alcool ou au tabac. Certains étudiants se mettent à boire dans leur chambre », partage Roman, le plus ancien de l’équipe.
Daphné, et Chaska font partie des 60 jeunes qui travaillent entre 6 et 9 mois pour la LMDE dans 17 villes françaises pour diffuser des messages de prévention santé. Suite à la crise sanitaire, la LMDE a dû adapter ses dispositifs de prévention. La précarité chez les étudiants s’est exacerbée, car ils n’ont plus la possibilité de faire des petits boulots. Finis les « ateliers before » du samedi soir pendant lesquels il était beaucoup question d’alcool, de drogues et de sexe. Les « déambulations » dans la rue de la soif ont été remplacées par des « journées de dépistage covid » et par des distributions de paniers repas où l’on discute de santé mentale et d’alimentation saine.
Des sources de financement alternatives
Avec la fin du régime étudiant de la Sécurité sociale, la LMDE, comme le reste de mutuelles étudiantes, ont perdu le financement direct de leurs actions de prévention. A la LMDE, l’équipe de prévention est passée de 20 personnes à 4, mais le partenariat avec l’Agence du service civique a permis de poursuivre les actions. « Tous les ans, nous renouvelons l’équipe de jeunes. Avant d’aller sur le terrain, ils suivent une formation de deux jours sur la prévention santé. C’est intéressant de renouveler les équipes et c’est une façon d’aider les jeunes. Nous les aidons ensuite à valoriser cette première expérience professionnelle dans leur CV », explique Marie-Pierre Janvrin, directrice prévention santé d’Intériale et responsable de Prévention plurielle, la nouvelle mutuelle de livre 3 d’Intériale consacrée à la prévention.
« Chaque année, on va à la pêche aux subventions, mais rien n’est acquis. Nous essayons d’avoir un partenariat avec la Cnam pour financer nos actions de prévention auprès des étudiants, mais on n’y arrive pas. Nous travaillons beaucoup avec les villes, qui ont compris l’importance de la prévention par des pairs », explique Marie-Pierre Janvrin.
Cette année, la LMDE a le projet de fusionner avec la mutuelle Intériale, qui couvre majoritairement des policiers. « Étudiants comme policiers souffrent de stress, mal-être, anxiété, reconnaissance, mauvaise alimentation ou troubles musculo-squelettiques. Je pense en plus que le confinement est une bombe à retardement sur d’autres pathologies. Les étudiants passent 10 heures par jour devant un écran et demain nous aurons une augmentation des problèmes optiques et liés à la sédentarité », alerte Marie-Pierre Janvrin.
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