Pierre Guillocheau : "Rendre compréhensible l’incompréhensible, un enjeu majeur"
TRIBUNE – Dans le cadre de notre magazine le bilan 2019 de l’assurance, Pierre Guillocheau, directeur des assurances collectives du groupe Crédit Agricole Assurances a pris sa plume. Il revient sur l’année 2019 de l'assurance de personnes et se projette sur 2020.
Ce n’est pas peu dire que notre système de protection sociale est complexe et peu lisible. Qui n’a pas été confronté à de profonds questionnements face à des événements de la vie majeurs tels qu’une hospitalisation, un acte dentaire significatif, un arrêt de travail long ou la perspective d’un départ à la retraite ? Quels en seront les impacts financiers ? Quels parcours suivre ? à qui s’adresser ?
Notre système de protection sociale souffre d’un paradoxe : globalement et macro économiquement efficient il se révèle au quotidien extrêmement complexe voire kafkaïen pour tout un chacun.
Et bien souvent, les réformes, dont la finalité est bien sûr positive, en « rajoutent » en terme de complexité. Le « 100% santé », dont l’objectif de suppression du renoncement aux soins en raison de restes à charge élevés ne peut être que partagé, va se révéler sur un plan opérationnel complexe à appréhender pour les assurés. Outre la dépendance aux comportements des professionnels de santé concernés, chacun d’entre nous va devoir maîtriser une connaissance approfondie des différents types de tarifs en fonction de la position des dents et du type de matériaux utilisé... La loi Pacte, tout en créant une forme d’harmonisation entre les différents dispositifs actuels, n’en fait pas moins continuer à cohabiter une multiplicité d’offres et de produits. Et la réforme des retraites qui se dessine, dont on ne peut nier l’intérêt à converger dans un régime unique, va se traduire par une période intermédiaire où cohabiteront anciens et nouveaux « dispositifs » avec sans doute de nombreuses exceptions.
Bref, vu du « citoyen consommateur » il devient de plus en plus difficile de se repérer dans le maquis de la protection sociale.
C’est dans ce contexte que le rôle des assureurs doit évoluer pour mieux coller aux évolutions des attentes et des comportements des consommateurs.
Dans cet univers global d’empilement des acteurs et d’enchaînement de réformes, on note une demande croissante de simplification dans la relation avec les clients, qu’ils soient particuliers, professionnels ou entreprises. L’image du secteur est encore très « administrative » et on peut noter un certain retard par rapport à ce qui se pratique par exemple dans la banque. La digitalisation du « self care » présente de fortes marges de progrès. Si les efforts ont surtout porté sur l’amélioration de la relation avec les particuliers, les process avec les entreprises sont souvent encore vécus comme très contraignants.
C’est aussi une nouvelle manière de parler aux clients qui s’impose. Qui s’y retrouve dans les pourcentages de BR, de PMSS, de trimestres, de points ? Systématiser l’expression en euros s’avère indispensable. Et concernant les réformes, le grand public est très loin d’en maîtriser les enjeux et les modalités pratiques, tant dans la santé avec un enchaînement accéléré de changements (contrats responsables, 100% santé) qu’en matière de retraite avec l’arrivée de textes complexes et potentiellement anxiogènes (loi Pacte, réforme des retraites).
Par ailleurs la notion d’immédiateté est encore peu répandue dans nos métiers. Dans le domaine de la santé, la réforme « 100% santé » impose de communiquer des exemples de reste à charge mais à l’heure du tout digital et de l’instantanéité de l’information, peut-on encore admettre de ne pas disposer de cette information en temps réel pour tous les types de garanties ? En retraite supplémentaire, est-il admissible de ne pas avoir de vision à tout moment sur ses rentes futures ? Comment mobiliser des salariés sur des versements individuels si l’impact de ceux-ci sur leur retraite future ne peut leur être fourni ?
Et au-delà, les clients attendent de leur assureur qu’il aille plus au-devant d’eux, qu’ils prennent les devants pour leur expliquer les réformes et qu’ils les alertent par exemple au regard de l’optimisation de leurs parcours tant en santé qu’en retraite. Plus globalement notre profession est confrontée à une indispensable « customisation de masse » de la relation client : il s’agira d’adapter les parcours, le conseil et l’accompagnement en matière de protection sociale en fonction de l’âge, des situations individuelles et des comportements tout en gérant des volumes très significatifs.
Comme tous les secteurs des services, l’assurance de personnes se trouve confrontée à de puissants enjeux de transformation de la relation avec ses clients. L’accélération des réformes renforce plus encore cette ardente obligation. Ce peut être une menace mais aussi une vraie opportunité de transformation de la perception des clients vis à vis de la valeur que leur assureur leur apporte.
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