Plébiscité par les salariés, de mieux en mieux perçu par les patrons, le télétravail serait-il la nouvelle relation gagnant-gagnant dans les entreprises de demain ? Traduisant les aspirations des employés à un meilleur confort de vie qui prime parfois sur les ambitions, il appelle à redéfinir le cadre du contrat de travail. Historiquement, l’assurance est d’ailleurs à l’origine du travail à distance.
S’il n’existe pas véritablement d’étude sur le sujet, les salariés tous secteurs confondus qui pratiquent le télétravail sont estimés entre 7 et 8%, essentiellement des cadres et commerciaux. Mis en place à titre de test chez Mondial Assistance, le dispositif va être pérennisé dans l’entreprise d’ici juin 2012 par un accord avec les partenaires sociaux. Il y a deux ans, les chargés d’assistance de Mondial Assistance se sont en effet vus proposer le télétravail.
Une quarantaine de salariés ont été retenus parmi lesquels Marie-Isabelle Fotzeu, salariée de l’entreprises depuis 2003 et habitant dans l’Essonne : « Lorsqu’on nous l’a proposé j’ai tout de suite adhéré. Je gagne au moins trois heures de transports en commun. Et avec trois enfants, cela me permet de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. »
« S’il reste encore marginal, le télétravail va croissant », constate Nissrine Fenjiro, consultante au cabinet de recrutement Lincoln Associates. « Bien que ce dispositif se mette généralement en place sur demande des salariés, les entreprises sont de plus en plus réceptives. Toutes les populations ne sont cependant pas éligibles au travail à distance. Les cadres, les personnes qui ont des enfants ou qui sont sur de la gestion de projet le perçoivent plus positivement. »
Les agents d’assurance, pionniers du travail à distance
Le cas de Mondial Assistance ne fait cependant pas école dans secteur de l’assurance, qui possède pourtant une histoire particulière avec le travail à distance : « A l’origine, les agents d’assurance ont été les premiers représentants d’une entreprise à aller s’installer ailleurs. Les courtiers et agents ont aussi été les premiers à utiliser les serveurs des entreprises à distance», raconte Philippe Planterose, président de l’AFTT, l’Association française du télétravail.
« En revanche, les compagnies d’assurance restent aujourd’hui encore frileuses au télétravail, tel qu’il est défini dans le code du travail, c’est-à-dire travailler en dehors des locaux de l'employeur par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication », poursuit Philippe Planterose. Le télétravail, qui était défini par un accord national interprofessionnel de 2005 a récemment fait son entrée dans le code du travail. L’AFTT préconise néanmoins la signature d’un accord d’entreprise à partir de 50 salariés.
Le cadre légal prévoit que l’ensemble des dispositions relatives aux télétravailleurs soient les mêmes que pour ceux restant au sein de l’entreprise. Certains points doivent néanmoins être mis sur la table : droit à la formation, présence sur le site, système informatique, heures auxquelles le salarié peut être dérangé. Pour Marie-Isabelle, les heures de travail restent inchangées : le chargé d’assistance se connecte entre 7 et 21h, suivant la tranche qui lui est impartie, interrompue par une heure entre midi et deux. Les installations techniques sont prises en charge et des réunions sont organisées lorsque le télétravailleur revient sur le site, deux fois par mois. « Le travail d’équipe n’en pâtit pas, car nous continuons de maintenir le contact, par téléphone ou par mail », explique Mme Fotzeu.
« Ils veulent légitimer leur place »
Certaines réticences persistent du côté des patrons, soucieux de ne pas pouvoir vérifier les faits et gestes de leurs employés. « Il est évident qu’on ne propose ce mode de travail qu’à des salariés qui ont au moins deux ans d’ancienneté et qui ont fait leurs preuves », déclare pour sa part Mondial Assistance. « L’entreprise sait qu’ils vont être aussi efficaces voire plus, car ils veulent légitimer leur place ». Certaines entreprises se montrent également circonspectes concernant les plateformes mises en place des outils informatiques et les problèmes de sécurité et fiabilité des données informatiques auxquelles ont accès les travailleurs à distance.
La prise en charge du fournisseur d’accès Internet et des équipements s’applique au prorata du travail réalisé depuis chez soi, puisque beaucoup sont en alternance. L’investissement réalisé par l’entreprise est plutôt minime : « Les 80 à 100 euros mensuels correspondant aux frais prévus par les textes sont largement récupérés par l’entreprise puisque l’augmentation de la productivité d’un salarié est de l’ordre de 20 à 25% en moyenne pour deux jours de télétravail par semaine », déclare Philippe Planterose. Le maximum, puisqu’à plus ou moins de temps, cette productivité diminue.
« La plus grande flexibilité permet au salarié de prolonger le temps de travail »
« Les réticences s’effacent, constate Nissrine Fenjiro, car les entreprises ont conscience qu’un salarié qui peut concilier obligations personnelles et professionnelles est aussi plus accompli. Une plus grande flexibilité lui permet de se montrer plus disponible car il pourra prolonger le temps de travail malgré les contraintes personnelles. »
Si Marie-Isabelle n’évoque pas les tentations, la salariée préfère en effet mettre l’accent sur la qualité de vie et l’impact sur le travail. « Au début de l’expérience, cela m’a marqué : les clients ou prestataires qui appelaient s’étonnaient du calme ambiant. Sur le plateau, on entend les collègues qui sont également au téléphone. Seul, on est plus performant ». Travaillant depuis sa chambre, elle dit malgré tout établir très facilement la frontière entre temps de travail et vie familiale : « Dès qu’on éteint l’ordinateur, la journée est terminée. »
Exit les pauses café et les blagues entre collègues
De la liberté de choix découle cette performance. Et c’est bien sur le principe du volontariat des deux parties que se fonde le télétravail. D’évidence, ce mode d’organisation ne conviendrait pas à un salarié qui ressent le besoin d’avoir des relations de travail. Exit les pauses café, les cigarettes après le déjeuner et les blagues entre collègues qui permettent de tisser un lien social. Sans être nostalgique, Marie-Isabelle regrette néanmoins de manquer les événements personnels, pots de départ, anniversaires ou naissances. Question de choix donc. Si son mari l’envie parfois au réveil, « lui ne pourrait pas rester à la maison toute la journée », témoigne-t-elle.
Faire montre de ses capacités managériales n’est en revanche pas des plus aisés lorsqu’on est absent de son lieu de son lieu de travail, et prendre du galon à distance peut être plus difficile. La bonne pratique repose plutôt sur l’organisation personnelle selon Nissrine Fenjiro : « Il est nécessaire de mettre à profit les journées de présence pour se rendre visible et nouer des contacts, et utiliser les journées où l’on reste chez soi comme un temps d’analyse. Et faire preuve d’autonomie peut également être une façon de se valoriser » souligne-t-elle.
La loi du marché du travail demeure : l’offreur interne reste prioritaire sur l’externe
Rares sont en réalité les personnes qui travaillent tous les jours de la semaine à distance. La loi du marché du travail demeure et le télétravailleur garde priorité sur les postes en entreprise et doit être informé d’un poste à pourvoir qui correspondent à ses compétences. Et le télétravail ne peut, légalement, constituer un moyen pour l’entreprise de minimiser les salaires. Le télétravailleur a d’ailleurs même plutôt constitué une opportunité pour Marie-Isabelle, qui est ainsi passée d’un temps partiel à un temps plein.
Le télétravail fait voler en éclat l’organisation actuelle du travail. « Jusqu’aux années 2000, qui datent l’arrivée des nouvelles technologies de l’information, les salariés avaient l’obligation de se rendre sur leur lieu de travail, rappelle Philippe Planterose. Mais d’ici 10 à 25 ans, les déplacements auront pour seule motivation les échanges humains. »
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