Tribune : "Innovation, le marathon de la Reine Rouge", par Pascal Demurger
Pascal Demurger, directeur général du groupe Maif et vice-président de la Fédération française de l'assurance (FFA) dresse le bilan 2016 de l'innovation dans l'assurance. Il livre par ailleurs ses perspectives pour 2017.
Vous vous souvenez forcément de cet épisode du roman de Lewis Caroll De l’autre côté du miroir, qui poursuit les aventures d’Alice aux pays des merveilles. Alice et le personnage de la Reine Rouge s’y lancent dans une course effrénée. Alice finit par s’étonner auprès de la Reine Rouge que, malgré leurs efforts, le paysage autour d’elles ne change pas. Et la Reine de répondre : « on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit ».
Une course de la Reine Rouge. C’est sans doute ainsi que la majorité des assureurs perçoivent l’innovation en cette fin d’année 2016. Ils ont progressivement pris conscience de leur vulnérabilité et de l’impérieuse nécessiter d’innover pour ne pas se laisser distancer. Pour l’assurance, l’innovation est devenue une course pour la survie. Trois facteurs ont, je pense, favorisé ce changement de perspective : le positionnement particulier de l’assurance comme miroir des autres activités économiques, l’accélération du rythme des changements en cours, et enfin, la perception du digital comme un continuum et non plus comme une rupture.
Double peine
Comme les entreprises des autres secteurs, un assureur doit être capable de tirer profit des technologies émergentes et d’affronter la menace de nouveaux entrants. Prenons l’exemple des données. Longtemps, l’assureur a été le seul acteur disposant du savoir-faire nécessaire pour collecter et exploiter les données permettant d’établir un tarif. Mais ce qui était historiquement une barrière à l’entrée pourrait se transformer en cheval de Troie pour de nouveaux acteurs. L’assureur s’est spécialisé dans l’exploitation de données « froides », données liées au statut de la personne en quantité assez limitée. Mais les données sont en train de changer. Leur volume a explosé grâce à internet, à la généralisation des smartphones et désormais, aux objets connectés. Leur nature s’est également transformée. Il s’agit aujourd’hui de données « chaudes », comportementales, presque prédictives. Face à Google, Amazon, Facebook, ou d’autres (start-ups, fabricants d’objets connectés…), les assureurs sauront-ils s’imposer comme les nouveaux champions de la donnée ?
"Pour l’assurance, l’innovation est devenue une course pour la survie"
Réceptacle de l’ensemble des activités économiques, l’assurance est train de réaliser qu’elle est en réalité victime d’une double peine. Outre son exposition en directe, elle doit également s’adapter aux conséquences de la rupture digitale dans d’autres secteurs. Le véhicule autonome en est une bonne illustration. On perçoit immédiatement le risque pour un constructeur automobile de passer à côté d’une telle innovation. Les conséquences pour l’assurance sont moins directement visibles, elles n’en sont pas moins sérieuses. L’essentiel des accidents de la route étant la conséquence d’une erreur humaine, le véhicule autonome devrait permettre d’en éviter à terme la majeure partie. Certains experts parlent d’une baisse de 80%. Sauf à imaginer de nouveaux services, l’activité d’assurance automobile pourrait se contracter dans les mêmes proportions.
Toujours plus vite
Depuis octobre 2016, tous les véhicules produits par Tesla disposent désormais de l’équipement nécessaire à une conduite 100% autonome. La mise à jour logicielle permettant d’activer cette fonctionnalité est prévue pour la fin d’année 2017. Qui aurait parié sur un tel calendrier au début de l’année 2015 ? Les plus aventureux n’attendaient pas la mise sur le marché d’un véhicule de ce type avant 10 ans. Les autres y voyaient un pur objet de science-fiction. En 2016, les assureurs ont eu le sentiment d’une très nette accélération des changements en cours. Ils ont en tout cas compris qu’ils en avaient sous-estimé la vitesse.
Rupture ou continuité ?
La troisième explication est pour le moins paradoxale. Finalement, le digital ne sera peut-être pas la rupture que nous attendions. Inutile de chercher un évènement que l’on pourrait dater et associer à une technologie en particulier. Big data, objets connectés, véhicule autonome, chat bots, intelligence artificielle, blockchain… C’est au contraire un continuum, une succession de multiples changements dans de nombreux domaines qui se font écho les uns aux autres pour transformer en profondeur notre métier. Il est tentant de s’en réjouir : ce n’est pas un mur que nous avons à gravir, mais un plan incliné. C’est pourtant un défi supplémentaire. Confronté à une rupture, il « suffit » de correctement définir la cible et de se donner les moyens pour l’atteindre à temps. Face à un continuum, courir dans la bonne direction ne suffit pas. Il faut veiller à ne pas trébucher en chemin, tout en ne perdant jamais de vue la direction. Préparer ce qui nous fera vivre demain sans relâcher notre attention sur ce qui nous fait vivre aujourd’hui.
L’innovation est une course pour la survie. Et peu importe que l’on souhaite ou non y participer, la course aura lieu. Les assureurs sont donc contraints de réagir. Courir dans la bonne direction ? C’est l’essence même de la stratégie. Rester vigilant sur la trajectoire ? C’est un mélange de tactique et d’excellence opérationnelle. Encore faut-il une organisation capable de courir vite… sans pour autant s’essouffler ! Cela nécessite une détermination inflexible, partagée par l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise. Ce chantier culturel, c’est évidemment le plus difficile, mais c’est aussi le plus important à mener.
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