Pour éviter de perdre des clients, les banques pratiquent des dérogations tarifaires de jusqu‘à 70% sur l’assurance emprunteur. Une pratique qui favorise la démutualisation et soulève des questions d'inégalité, selon certains acteurs.
Environ 80% des banques ont recours à des dérogations tarifaires sur le tarif de base de l’assurance emprunteur, selon le rapport du CCSF de novembre 2016. La baisse du tarif peut atteindre 70%, selon le cabinet d’actuariat BAO.
Les réductions s’appliquent au moment de la souscription lorsque l’emprunteur présente une offre d’un concurrent moins chère. Mais elles interviennent également lorsque l’emprunteur veut faire valoir la loi Hamon afin de changer d’assurance emprunteur pendant la première année. "Les banques sont alors prêtes à réduire significativement leur tarifs pour garder le client, après avoir pratiqué le prix fort pendant quelques mois, ce qui suscite des indignations fréquentes chez les consommateurs », indique Isabelle Tourniaire, responsable des études du cabinet de conseil BAO.
« Pratiquer un prix de façon discrétionnaire ne correspond alors plus à la définition du contrat de groupe, où le tarif doit être le même pour toutes les personnes qui présentent le même profil de risque », considère Isabelle Tourniaire.
Qui bénéficie des dérogations ?
S’aligner sur les tarifs de ses concurrents peut faire baisser globalement les prix des assurances emprunteur, mais lorsque les baisses de tarif se font individuellement, cela soulève des questions d'inégalité. « Les personnes les moins aisées ont toujours été celles dont le pouvoir de négociation était le plus faible pour le crédit (taux, pénalités de remboursement..). Aujourd'hui, cette inégalité gagne aussi l'assurance, avec un prix largement aménagé en fonction de la qualité du profil du client pour la banque », observe I. Tourniaire. Selon le rapport de 2017 de l’Observatoire BAO de l’assurance emprunteur : « Entre le cadre supérieur et l'ouvrier, ce n'est pas un hasard si le premier peut plus facilement bénéficier de dérogations sur l'assurance. Et ceci s'ajoute au fait que l'un était déjà très avantagé dans la négociation de son crédit par rapport à l'autre ».
Les banques mutualistes pointées du doigt
La cabinet BAO constate que « ce sont les réseaux bancaires dit "mutualistes", (Crédit Mutuel, Caisse d’épargne et Crédit Agricole) qui utilisent le plus largement ces pratiques dérogatoires, pourtant les plus contraires à leurs valeurs. Les réductions de tarif qu’elles appliquent s’apparentent à une forme de démutualisation, alors que paradoxalement ce sont également ces banques qui ont fait de la démutualisation leur premier argument contre l’ouverture du marché », poursuit I. Tournaire. Un courtier présent dans le marché de l'emprunteur partage ce constat.
Le marché de l'emprunteur est réputé pour sa rentabilité. Les marges dépassent 50% du montant des cotisations, mais ces réductions tarifaires qui peuvent atteindre 70% présentent certains risques : « L’emprunteur est un marché où il y a tellement de marge, que les acteurs pensent qu’il n’y aucune limite à la baisse des prix. Mais de tels niveaux de dérogation tarifaire, pratiqués sans aucune considération ou maîtrise du taux de marge par segment, peuvent constituer ponctuellement de la vente à perte. Même si ces dérogations peuvent endiguer encore quelque temps l’ouverture du marché, cette "irrationalité technique" pourrait devenir dangereuse pour certains », juge I. Tournaire.
Nous avons contacté le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et la Caisse d'Épargne, qui n'ont pas souhaité répondre à nos questions concernant les dérogations tarifaires.