SÉRIE DE TÉMOIGNAGES - Charline a participé à la croissance fulgurante d’un acteur de l’assurance. À force de faire des semaines de 70-80 heures, d’être dans le rush permanent, elle a eu un "pépin de santé". Elle avait pourtant demandé à plusieurs reprises d’embaucher quelqu'un pour l’aider.
Charline, 50 ans, pense faire partie de la génération sacrifiée. Celle qui a eu du mal à accéder à des postes de management, celle pour qui la conciliation entre vie professionnelle et vie privée a été un calvaire. « Aujourd’hui, les choses sont en train de changer, il n’y a plus de réunions après 17h et il y a de plus en plus de femmes à des postes de management », observe-t-elle.
La discrimination est particulièrement palpable au moment de négocier les augmentations de salaire. Une femme divorcée avec deux enfants à charge est rarement augmentée, car comme dit le patron « c’est sûr qu’elle ne va pas partir ». Il déclare ouvertement qu’ « une femme travaille pareil qu’un homme mais coûte beaucoup moins cher ».
Charline s’est déjà battue pour que sa collaboratrice enceinte, qui s’était absentée de fin septembre à février, puisse recevoir sa prime d’objectifs en intégralité, et pas au prorata des 9 mois où elle avait été présente. « La maternité reste pour certaines entreprises un vrai sujet, alors que personne ne songerait à réduire la prime d’un collaborateur qui doit s’absenter pendant une longue période pour un problème de santé », pense Charline.
Dans cette société, les jeunes femmes commerciales ne sont pas recrutées uniquement pour leurs compétences mais surtout pour leur physique. « On leur fait comprendre qu’elles sont un atout », signale Charline.
Geste déplacé impuni
Elle se souviendra toujours de ce geste déplacé qui est resté impuni. « Un directeur a mis une main aux fesses d’une collaboratrice pendant un cocktail. Elle, choquée, est allée le voir après et il n’a pas nié les faits. Ce manager n’était pas à son premier signalement. Il s’est défendu en disant que c’était une marque d’intérêt parce qu’il la trouvait sympa, qu’il ne voyait pas où était le problème. Il ne comprenait pas pourquoi cela pouvait la traumatiser. Le mois qui a suivi a été compliqué pour la victime et elle a fini par quitter la société ».
Dans cette société qui connaissait une croissance fulgurante, le rythme de travail était infernal et c’était « marche ou crève », selon Charline. Le management n’était pas bienveillant et chacun faisait reposer ses contraintes de temps sur les autres. « J’avais potentiellement 1.000 personnes qui pouvaient me fixer une réunion », souligne-t-elle.
Sous-effectif
« Les femmes qui exprimaient leur désaccord étaient toujours perçues comme agressives car on attendait d’elles qu’elles soient consensuelles », selon Charline. Un jour, elle a demandé de louer une salle avec un régisseur pour organiser une réunion très importante. Son chef a refusé de débourser 3.000 euros de location et a imposé d’organiser la réunion dans l’amphithéâtre de la société. « C’est votre stress, vous allez gérer », lui a-t-il répondu. Elle a quitté le bureau la veille tard le soir, après un cocktail, pour être de retour le lendemain à 6h afin de vérifier que le matériel marchait correctement et elle-même s’est chargée de dérouler la présentation.
Plusieurs fois, Charline, débordée, a demandé de créer un poste supplémentaire. La réponse a été toujours négative. « Si j’avais été un homme, j’aurais été plus écoutée. J’avais alerté à plusieurs reprises qu'on était en sous-effectif, mais on m’a répondu qu’on allait se débrouiller ».
Quand Charline a appris que sa collaboratrice était enceinte, elle lui a recommandé de le cacher pendant quelques semaines et de l’annoncer après l’entretien de fin d’année. « Autrement, elle n'aurait jamais eu d'augmentation », pense-t-elle.
Charline a imposé à sa collaboratrice de lever le pied, a aménagé ses horaires, lui a permis de faire 2 jours de télétravail par semaine et l’a dispensée des événements du soir. « Je voulais qu’elle reste le plus longtemps possible à mes côtés avant son accouchement, car j’avais besoin d’elle », explique Charline.
"Un pépin de santé"
Sa charge de travail, elle l’a absorbée toute seule. À force de faire des semaines de 80 heures, d’être dans le rush permanent, d’être submergée par plus de 400 mails par jour, elle a eu « un pépin de santé ». Charline a été en arrêt à la demande du médecin du travail pendant 2 mois. « Tant que tu réponds à l’appel, ils ne vont pas bouger un doigt pour te soulager », analyse-t-elle.
Charline pense que les femmes sont plus vulnérables face au burn-out parce qu’elles ont à cœur de délivrer. « Il est très rare qu’une femme dise : je ne peux pas le faire. Nous sommes toujours dans la recherche de solutions », considère-t-elle.
De retour dans son poste, une jeune femme avait été nommée, entre Charline et le DG. « Ma supérieure a été complètement parachutée et nommée par copinage. Elle représentait tout ce que je n’aime pas. Désorganisée, elle arrivait en retard aux réunions, était autoritaire, intrusive, contrôlante et voulait s’imposer par son statut. Elle s’est mise l’équipe sur le dos ». Charline affirme avoir plus souffert de mismanagement féminin que masculin.
Charline négocie une formation et son départ et se lance dans la recherche de travail. « En position de candidate, je me suis rendu compte qu’il était compliqué de prouver la valeur de mon expérience ». Elle finit par trouver un poste qu’elle pourra faire évoluer. « Je suis contente d’être dans un milieu épanouissant et pas dans un milieu harcelant ».
Elle pense qu’on est enfin sorti de la période pendant laquelle la femme avait un salaire d’appoint et l’homme faisait tourner la famille. Elle regrette que les femmes soient dans l’attente de la reconnaissance sur leur travail. Elle les encourage à aller chercher le feed-back.
Les femmes sont plus modestes
Quand Charline cherche à recruter, elle voit bien que les garçons ont une faculté supérieure à se vendre que les filles. Ils savent mettre en avant leurs qualités alors qu'elles sont plus modestes. « Celle qui me semble la meilleure candidate est celle qui a le moins de prétentions salariales », selon Charline.
Sur son style de management avec des jeunes collaborateurs, Charline pense que les femmes doivent apprendre à lâcher du lest sur certains aspects et être exigeantes sur l’essentiel. « Si tu ne veux pas être traitée de maîtresse d’école, il faut savoir lâcher, apprendre à écouter et apprendre des autres. Sinon, tu risques de faire le vide autour de toi ».
Pour finir, elle s’interroge : « Que seraient les femmes sans les hommes ? Nous sommes le fruit d’une éducation. Hommes comme femmes s’efforcent aujourd’hui à déconstruire certains stéréotypes. Il y a du travail à faire mais nous avons pas mal progressé ».
*Le prénom a été modifié Retrouvez les autres témoignages de la série "Paroles de femmes de l'assurance" iciÀ voir aussi
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