Emprunteur : La fin de la sélection médicale inquiète les assureurs
Actélior alerte sur l’effet d’aubaine et anticipe une hausse importante des tarifs en assurance emprunteur à la suite de l’entrée en vigueur de la loi Lemoine qui supprime la sélection médicale pour les prêts de moins de 200.000 euros.
La suppression de la sélection médicale en assurance emprunteur ainsi que le raccourcissement du droit à l’oubli sont considérés comme une victoire pour les associations de patients. Le Sénat a été sensible à ces demandes et introduit dans la loi Lemoine la fin du questionnaire médical pour les prêts de moins de 200.000 par quotité, c’est-à-dire 400.000 euros pour un couple assuré à 50/50. L’absence de sélection concerne uniquement les prêts qui arrivent à terme avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur.
Combien de prêts sont concernés par cette mesure ? 52% des prêts en nombre et 36% en capital emprunté, selon le cabinet Actélior. Cependant, les réseaux bancaires en zone rurale seront plus exposés que les réseaux citadins prêtant des montants plus élevés : 60% des prêts sont concernés par cette mesure sur le réseau le plus impacté contre 22% pour le réseau le moins impacté.
Vers une hausse de 12% du risque moyen
En abandonnant la sélection médicale, le surcoût des personnes à risque sera mutualisé au sein de l’ensemble de la population. Mécaniquement, le prix moyen va augmenter mais pour tout le monde grâce aux effets de la mutualisation.
Selon les calculs d’Actélior, la suppression de la sélection médicale conduira à une augmentation de 12% du risque moyen. La suppression des surprimes implique une hausse de 3% sur le risque décès et de 4% sur l’arrêt de travail. Sur les réseaux bancaires à forte mutualisation comme les banques, Actélior anticipe un impact tarifaire entre 3 et 5%. Sur les réseaux à faible mutualisation, comme c’est le cas de la plupart des assureurs alternatifs, la hausse estimée est de l’ordre de 10 à 15%.
Quelle ampleur pour l'effet d'aubaine ?
« La difficulté essentielle réside dans le fait que la loi relative à la suppression du questionnaire médical ne met pas de garde-fous contre des comportements abusifs. Certains intermédiaires pourront proposer à des personnes en fin de vie un 'crédit successoral'. Par exemple, quelqu’un qui risque de décéder pourrait souscrire une SCPI financée par un emprunt immobilier de 190.000 euros. A son décès, ses héritiers vont bénéficier de cet actif remboursé par l’assurance emprunteur ! », anticipe David Echevin, directeur d’Actélior.
Dans ce cas, il n’y a plus d’aléa et certaines personnes pourraient s’enrichir grâce à l’assurance. L’actuaire cite d’autres exemples d’effets d’aubaine délétères pour l’assureur comme le contrat d’épargne à cours connus d’Abeille Vie, racheté ensuite par Aviva France. En Turquie, une garantie perte d’emploi avec peu d’éléments de sécurité avait été contournée par une entreprise juste avant de faire un plan social. L'employeur avait fait souscrire à tous ses salariés l’assurance, créant ainsi un gouffre pour l’assureur. En France, la fin de la sélection médicale sur des produits prévoyance TNS de Ciprès Assurances (Entoria) avait également été un fiasco, d’autant plus que le grossiste était le seul acteur du marché à proposer cet avantage. Les effets d’anti-sélection ont pesé lourd sur la sinistralité.
Le Crédit Mutuel a été précurseur dans la suppression de la sélection médicale, mais cette opportunité était uniquement offerte aux clients connus de la banque, ayant domicilié leurs revenus depuis au moins sept ans au Crédit Mutuel et pour l’acquisition d’une résidence principale. Et cette absence de sélection avait un coût estimé de 70 millions d'euros par an selon le Crédit Mutuel.
« La loi Lemoine, sur cette partie, est vierge, rien n’est écrit, on pourrait se retrouver avec des gens qui jouent contre l’assureur », alerte David Echevin. Actélior calcule qu'en France, tous les ans, 38.000 personnes âgées entre 20 et 60 ans décèdent pour cause de maladie et ne sont pas couvertes par une assurance emprunteur. Combien d’entre elles vont profiter de la fin du questionnaire médical pour emprunter en fin de vie ? Si elles sont 5%, le nombre de sinistres risque d’augmenter de 12%. Si elles sont 20%, les sinistres augmenteraient de 50%.
Des alternatives au questionnaire médical
En l’absence de sélection médicale, les assureurs cherchent d’autres moyens pour se prémunir contre ces effets d’aubaine.
Par exemple, Actélior suggère certains outils comme une période de carence de 6 ou 12 mois, ou bien d’aller vers une souscription comportementale. « Dans ce cas-là, l’assureur analyse le comportement de l’emprunteur pour avoir une vision du risque : voir si la personne fait du sport grâce aux réseaux sociaux, analyser la fiche de paie pour voir si la personne a été en arrêt de travail. Ce sont des débuts de preuve, cela ne sera jamais aussi efficace que la sélection médicale, mais cela évitera le crash absolu ou de totalement vider le produit de sa substance », commente David Echevin.
« La suppression du questionnaire médical est un dispositif perdant, perdant, perdant. Pour les banques, les assureurs et les emprunteurs. Même les malades risquent d’être confrontés à des mesures plus restrictives que la sélection médicale. Par exemple, les personnes en arrêt de travail pendant plus de trois mois pourraient se voir refuser le crédit. C'est dommage car nous aurions pu poursuivre et approfondir les travaux réalisés ces dernières années, notamment au travers de la convention Aeras. Je trouve que l’adoption de cette mesure s’est faite trop rapidement, ceci afin de pouvoir l’intégrer dans cette mandature, sans réel étude d’impact », commente David Echevin
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