Gerald Beyrand : "Le Covid-19 constitue désormais un risque systémique pour les assureurs"
Alors que l'industrie du spectacle et de l'évènementiel est touchée de plein fouet par la crise du coronavirus, Gerald Beyrand, directeur général de l’agence de souscription Phenomen, fait le point sur la situation et sur les couvertures de ce type de risque. Il revient également sur ses activités et ses perspectives de développement.
Comment appréhendez-vous les sinistres Covid-19 ?
Aujourd’hui, le risque d’annulation lié au Covid-19 ou aux maladies apparentées au Sras, n’est pas exclu des contrats que nous fournissons aux organisateurs d’évènements. Le risque étant avéré, il n’est plus possible de l’ajouter à un contrat qui serait souscrit depuis le début de la crise.
Ainsi, tout dépend de la date de souscription du contrat et si l’assuré connaissait ou non le risque à la signature. Si le contrat a été souscrit avant l’apparition du virus, les garanties peuvent être activées. Nous avons pris en charge ces derniers temps beaucoup de sinistres.
Même si en parallèle nous continuons de coter pour de futurs évènements et que, en effet, grâce au Lloyd’s qui est notre porteur de risques, nous avons de la capacité disponible, depuis quelques mois une grosse partie des souscripteurs spécialisés (ndlr : des porteurs de risques) ont arrêté de se positionner sur le risque annulation compte-tenu de la situation. Seul le marché des Lloyd’s continue aujourd’hui à souscrire de la même façon. Donc nous continuons à assurer les évènements à venir sur tous les autres risques, qui ne seront pas à négliger, une fois que la crise du Covid 19 sera derrière nous !
Ce risque sera-t-il désormais exclu des contrats ?
Techniquement, même si ce type de risque est connu au même titre que les autres épidémies, les conséquences sont telles qu’il constitue désormais un risque systémique pour les assureurs, additionnant fréquence et sévérité des sinistres. Donc pour le moment en tout cas, il ne peut être autrement qu’exclu des contrats (on ne peut plus assurer contre l’incendie une maison qui a commencé à brûler). Nous verrons par la suite. Nous avions connu les mêmes interrogations en novembre 2015, alors que le risque terroriste devenait alors une exclusion de nos contrats.
Concernant le Covid, les assurés les plus touchés sont aujourd’hui les organisateurs de festivals, de concerts ou de congrès, les propriétaires de salles de spectacles, etc… Les professionnels de l’audiovisuels (TV, cinéma, etc) sont aussi fortement impactés par des annulations en cascade et l’impossibilité de travailler.
Pour ceux couverts en cas d’annulation lié à un virus - avec un contrat souscrit avant la date d’apparition du virus – ils sont bien évidemment indemnisés et lorsque les évènements sont reportés, les contrats d’assurance restent en place.
Quel impact cette situation aura-t-elle sur les tarifs ?
Les professionnels de l’évènementiel, de l’art et de la culture ont déjà largement été impactés par le mouvement des gilets jaunes l’année dernière ou par le risque terroriste il y a quelques années.
La plupart des contrats d’assurance annulation fonctionnent en « tout sauf » avec un risque pandémique dont le taux de prime était jusqu’alors inférieur à 1% du budget global de l’évènement. Désormais, les prix vont fortement augmenter du fait de la dégradation des résultats techniques et de la raréfaction de la capacité et les cotations vont désormais atteindre jusqu’à trois fois le prix normal.
Que vont pouvoir faire les principaux (ré)assureurs du marché exposés sur ce risque ?
La situation est délicate, les assureurs étant tiraillés entre déclenchement des garanties avec des conséquences financières importantes et vindicte populaire en cas de refus.
Si les porteurs de risques sont si frileux sur le risque annulation, c’est notamment depuis les attentats terroristes et les manifestations des gilets jaunes. Il n’y avait jamais eu autant d’arrêts d’activités si flagrants auparavant et cette crise vient peser davantage. Pour ceux qui souhaitent accompagner au mieux leurs clients et tenter de tenir la situation, ils doivent se faire accompagner de leurs courtiers spécialisés.
De leur côté, les réassureurs qui sont souvent souscripteurs directs sur ce type de risques, sont ceux qui tiennent encore le marché même si les capacités sont gelées.
In fine, concernant tous les autres risques, les garanties fonctionnent normalement et les assureurs sont au rendez-vous. Nous avons par exemple signé en décembre dernier la couverture de plusieurs congrès à hauteur de 8 à 10M d’euros.
Justement, comment s’est passé l’exercice 2019 de Phenomen, deux ans après son lancement ?
Nous avons enregistré à fin 2019 un montant de primes pures de 7,5M d’euros, sans démarche commerciale particulière. En tant qu’agence de souscription nous travaillons avec des courtiers classiques comme Marsh ou Verspieren, des agents généraux et beaucoup de courtiers de proximité.
Nous cherchons désormais à nous développer davantage sur les activités média (tournages de séries, sociétés de production, émissions télévisées, etc) qui sont aujourd’hui totalement à l’arrêt, mais pour lesquelles nous trouvons toujours des capacités, encore une fois auprès des Lloyd’s.
Quelles sont vos autres perspectives de développement pour les prochains mois ?
Nous nous lançons en fin d’année sur le marché de la billetterie. Nous allons proposer une assurance annulation qui permet le remboursement de billets sans justificatif, en partenariat avec l’assureur Seyna qui portera le risque.
C’est un segment porteur, notamment depuis l’épisode des gilets jaunes, avec des organisateurs d’évènements qui ont aujourd’hui leurs propres systèmes de billetterie. C’est l’occasion pour nous d’accompagner les acheteurs dans le temps, de l’acquisition des billets jusqu’à la tenue de l’évènement. Aujourd’hui, 40 millions de billets sont vendus chaque année en France, dont 30 millions par les trois principaux opérateurs du marché.
A plus long terme, nous souhaitons investir dans de nouveaux outils informatiques qui permettront d’établir des bases d’informations techniques (climats, habitudes des clients, etc) à destination des intermédiaires. L’idée est de les accompagner techniquement pour qu’ils puissent établir au plus près les limites des contrats. Sur ce point, l’UX va jouer un rôle essentiel, notamment pour comprendre au mieux quelles sont les options de remboursement face aux comportements des clients en adaptant les taux de primes sur les prix des billets.
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