Le rapprochement des branches : Risques et opportunités
INTERVIEW - Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis, groupement paritaire de prévoyance dédié à la protection sociale des branches professionnelles, revient sur le rapprochement des branches et les impacts pour le monde de la protection sociale.
Actuellement, il y a environ 700 branches professionnelles (dont environ 330 nationales, les autres étant départementales ou régionales). L’objectif fixé par les pouvoirs publics est d’arriver à 200 branches nationales dans 3 ans. Où en est le rapprochement des branches professionnelles ?
L’objectif est ambitieux parce qu’il faut que les branches discutent entre elles, étudient les synergies en termes de périmètre d’activité, de contrainte d’emploi, de démographie, de compatibilité politique… avec pour finalité de mettre en commun demain leur convention collective. Le travail semble entamé sur un plan politique pour le moment. Depuis début 2017, on sent bouger les lignes. Nous attendions de prendre connaissance des différentes mesures de représentativité côté salarié et côté patronal, qui redessinent le paysage actuel des branches pour identifier les acteurs avec lesquels nous allons travailler à l’avenir dans chaque profession. Il y aura moins de branches, mais avec plus d’effectifs et donc plus de capacité pour négocier et des potentiels de développement accrus pour les organismes assureurs qui opèrent sur ce marché.
Dans combien de branches Adéis est-il présent via ses membres fondateurs (Apicil, Ciprev, Humanis et Ipsec) ?
Adéis est présent dans 70 des 330 branches nationales, c’est à dire qu’avec ces 4 institutions membres nous sommes fournisseur de protection sociale dans une branche sur cinq, en tant qu’organisme recommandé ou historiquement désigné.
Combien de branches, ont-elles opté pour la recommandation ?
A ce jour, seules 30% des branches où historiquement nos assureurs membres étaient organisme désigné ont fait l’objet d’un appel à concurrence pour une reconduction en recommandation. Une majorité des branches n’a donc pas souhaité s’engager dans une procédure de recommandation après la fin des clauses de désignation. Dans ces branches, nous restons acteur auprès des partenaires sociaux qui pilotent le régime de branche et à qui nous présentons toujours les comptes annuels de leurs régimes. Par contre, il faut bien préciser que dans ce cas, si la clause de désignation et réputée inopérante*, on ne peut alors plus imposer l’adhésion des entreprises et refuser les résiliations comme c’était le cas avec les clauses de désignation.
*A vérifier au cas par cas selon l’accord de branche, certaines clauses de désignations étant encore valables juridiquement.
Suite à la fin des clauses de désignation, avez-vous accusé une perte de portefeuille ?
La fin de la désignation ne signifie pas la fin du régime collectif pour autant. Nous avons un ensemble mutualisé qui pour l’instant reste relativement stable, sauf quelques branches où il y a une forte démutualisation. Je ne les citerai pas, mais ce sont des branches dont nous avons dû redresser les régimes, parce que les comptes le nécessitaient. Dès lors que vous augmentez sensiblement le montant de la cotisation (20% ou plus), les entreprises cherchent à partir et trouvent des tarifs plus bas, plus particulièrement lorsqu’elles présentent un « bon risque » par rapport à la moyenne de la branche. Nous avons à titre d’exemple deux branches pour lesquelles nous avons perdu la moitié des effectifs mutualisés en deux ans !
Pourquoi les branches ne sont pas emballées par la recommandation ?
Je pense qu’il y a de l’attentisme, voir de la méfiance de la part des branches qui n’ont majoritairement pas procédé à une recommandation dans la continuité de leurs régimes en désignation. En effet, les branches qui se sont pliées à l’exercice et qui ont lancé un appel à concurrence, ont publié dans ce cadre tous les comptes de leurs régimes, les données les plus précises en termes de résultats sur plusieurs années, ce qui permet alors à tout organismes assureur d’utiliser ces données pour concevoir des offres concurrentes du régime mutualisé de la branche avec le bon positionnement tarifaire, notamment pour attirer les meilleurs risques. Pour preuve, en moyenne plus de la moitié des assureurs qui retirent les dossiers d’un appel à concurrence de branche n’y répondent même pas, le taux de réponse étant en outre très variable selon les familles d’organismes assureurs. Les partenaires sociaux ont donc compris, de mon point de vue, que ces appels à concurrence les obligeaient à livrer sur la place de l’assurance les « secrets de fabrication » qui concourent à l’organisation d’une concurrence contre leur régime : la procédure de recommandation elle-même, aurait donc pour effet pervers et inattendu de favoriser le processus de démutualisation…
Autre effet pervers, les partenaires sociaux des branches n’ont plus la capacité à changer d’organisme assureur si facilement dans les faits. Avec les clauses de désignation, les branches pouvaient sans grande difficulté faire migrer leur mutualisation d’un assureur A vers un assureur B, organisant un transfert de portefeuille quasi-automatique par la signature d’une nouvelle clause de désignation rendue obligatoire. Aujourd’hui, les partenaires sociaux ne peuvent plus se risquer à résilier leur assureur historique qui est bien souvent détenteur du 80% du portefeuille de la branche, puisque les entreprises ont le choix de rester chez cet assureur qui pourrait à son tour pratiquer la sélection des bons risques, s’il n’était pas tenu par les contraintes de la recommandation.
Voici les raisons qui expliquent selon moi que depuis plus d’un an il n’y a presque plus d’appel à concurrence sur le marché des branches, il ne se passe plus grande chose sur ce front. La nouvelle perspective positive est donc le rapprochement des branches avec le changement de périmètre des accords sur lesquels les membres d’Adéis sont assureurs. Pour autant, nous ne savons pas encore comment les partenaires sociaux vont organiser la protection sociale des nouvelles branches : y aura-t-il des recommandations dans les textes conventionnels, des accords commerciaux dits de « labellisation » hors accord collectif… ?
Est-ce que vous conseillez la recommandation aux partenaires sociaux ?
Nous suivons depuis 2016 une trentaine de recommandations dans les branches et l’expérience récente nous a montré que ce dispositif en matière de garanties santé pouvait être viable, essentiellement car il y a peu d’écart de risque entre les entreprises sur ce volet de la protection sociale collective. En revanche, en prévoyance lourde, nous sommes très réservés et nous conseillons aux partenaires sociaux d’éviter les pièges de la recommandation, particulièrement lorsqu’ils partent d’une copie blanche pour construire de toute pièce un nouveau régime mutualisé sans historique. Dans un même secteur, les écarts de cotisation sur le risque prévoyance peuvent être de 1 à 6 en fonction de l’entreprise comme le soulignait en avril 2016 une étude d’une société d’actuariat qui fait référence sur la place. En tant qu’organisme recommandé, nous sommes contraints de proposer le même tarif pour toutes les entreprises et nous ne pouvons en refuser aucune, ce qui interdit dans la pratique la résiliation à l’initiative de l’assureur. Le tarif proposé par l’organisme recommandé tient compte de ces contraintes et se retrouve donc souvent plus élevé que ses concurrents, et donc hors marché. Autant dire que je vois difficilement comment les branches qui n’ont pas encore négocié de couverture prévoyance pour leurs salariés non cadres pourraient construire un régime mutualisé et viable avec un outil aussi bancal que la clause de recommandation.
Comment la recomposition du paysage peut-elle vous impacter?
Nous estimons qu’il y aura une question d’harmonisation des régimes de protection sociale des branches, sur laquelle nous aurons un rôle à jouer. Cela fait partie de nos compétences en tant qu’expert de la protection sociale complémentaire dans les branches et nous accompagnerons les branches qui nous font confiance sur ces évolutions importantes pour elles. Pour ce faire, nous essayons d’intervenir le plus en amont possible de ces sujets pour accompagner et faciliter les discussions entre partenaires sociaux.
Quelles opportunités présente le mouvement de rapprochement des branches ?
Dans cette recomposition du paysage des branches, nous pourrions nous développer sur un périmètre de prospection plus large. Il y aura plus de salariés concernés par les régimes professionnels et donc plus de capacité de croissance dans les branches où nous sommes déjà présents, probablement aussi une meilleure stabilité des résultats sur certaines branches de taille trop modeste aujourd’hui. Cette concurrence vive au moment du changement de périmètre des branches, nous oblige à être très présents face à nos concurrents qui voudront également tirer profit de cet élargissement du marché.
Qui dit moins de branches, dit plus de mutualisation ?
Avec la fin des clauses de désignation, nous avons un vrai problème de viabilité des mutualisations de branche, notamment en risque lourd. Si une branche de 10.000 salariés aujourd’hui, passe à 30.000 salariés d’ici 2 ans, nous pouvons espérer couvrir en proportion plus d’effectifs et pouvoir ainsi amortir une partie des effets négatifs de la démutualisation des régimes. En revanche, nous rencontrerons toujours le problème crucial d’anti-sélection, c’est à dire que nous aurons toujours du mal à garder ou récupérer les « bons risques » au sein des professions.
Le rapprochement des branches peut avoir des impacts sur les actions relatives au haut degré de solidarité ?
Pour lancer des actions de solidarité dans chaque branche, il y a des coûts fixes incompressibles : coûts structurels de paramétrage des systèmes d’information, d’audit, de mise en œuvre et de déploiement…. Il faut donc une assiette de cotisants suffisante pour amortir ces charges fixes. Aujourd’hui, avec en moyenne seulement 25 à 30% des entreprises de la branche qui adhèrent à l’organisme recommandé, le budget est parfois trop limité pour organiser de véritables actions de solidarité. Avec seulement 2% du montant des cotisations, nous n’avons pas suffisamment de moyens de mener des actions de prévention structurantes dans toutes les branches par exemple. Grâce au rapprochement des branches, le volume des fonds de solidarité sera plus conséquent et permettra d’organiser plus facilement des actions concrètes et pertinentes pour les professions tout en amortissant nos coûts fixes.
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