Partager

Tribune : "Une année 2017 pleine d’incertitudes", par Denis Kessler

mercredi 4 janvier 2017
Image de Tribune : "Une année 2017 pleine d’incertitudes", par Denis Kessler

Denis Kessler, président et directeur général de Scor dresse le bilan 2016 de l’environnement économique mondial dans lequel évolue le secteur de l'assurance et nous livre ses perspectives pour 2017.


Cette tribune est extraite de notre hors-série, Le bilan 2016 de l'assurance, que vous pouvez commander ici.


Lorsque l’on porte un regard sur l’année écoulée, il est impossible d’occulter les séismes politiques en Europe et aux Etats-Unis. Pour autant, d’un point de vue économique, l’année 2016 a davantage été marquée par une faible croissance des richesses et une poursuite du ralentissement des échanges internationaux, celui-ci pesant sur la croissance globale pour la deuxième année consécutive. Ces évolutions, associées à un environnement de taux bas, concourent à dresser un bilan plutôt décevant de l’économie mondiale. Au-delà de ce constat, assez général, des tendances régionales ont pu se dégager ces derniers mois. Fait constant depuis plusieurs années : les pays développés ont vu leur croissance économique croître à un rythme particulièrement faible, en dessous des 2%, tandis que les pays non membres de l’OCDE devraient bénéficier d’une croissance autour de 4%.

Au sein des pays occidentaux, différentes évolutions économiques pourraient voir le jour en 2017. A ce titre, les deux principaux événements électoraux de l’année écoulée – le referendum britannique et l’élection présidentielle américaine – nous apportent une première indication sur les tendances à venir : le consensus politique autour de l’ouverture au monde paraît aujourd’hui de plus en plus remis en question par les peuples. Il doit être repensé en vue du bien commun de l’ensemble des populations. Les leçons qu’en tireront chaque pays, chaque union régionale, seront autant de réponses à la crise actuelle.

D’un côté, les Etats-Unis ont – à tort ou à raison – vu en Donald Trump le candidat le plus à même de raviver les forces « endogènes » de la Nation. Ses promesses d’une réduction agressive de la fiscalité, son programme de relance des infrastructures vont dans le sens de la recherche d’un développement recentré sur les Etats Unis eux-mêmes. Cette politique de l’offre devrait normalement soutenir l’investissement et la croissance aux Etats-Unis, avec un effet d’entraînement sur l’économie mondiale. En contrepartie, le déficit et la dette publics ainsi que le déficit courant américain devraient se creuser à court et moyen terme, avec pour conséquence une remontée plus rapide qu’anticipée des taux d’intérêt américains et une appréciation du dollar qui a déjà commencé. Ces déséquilibres accrus devraient être source d’instabilité financière pour les économies fortement dépendantes d’importations en dollar ou fortement endettées en dollar. L’économie mondiale sera vraisemblablement chahutée en 2017, car la hausse des taux d’intérêt va concerner un certain nombre de pays et d’agents économiques endettés dans cette devise.

L’Europe, de son côté, se trouve confrontée à de multiples incertitudes politiques. Le Brexit et le referendum constitutionnel italien illustrent, chacun à leur manière, les inquiétudes suscitées par la prolongation de la crise en Europe, comme la peur du déclassement, et les risques de tensions sociales et politiques que ces inquiétudes sont susceptibles de générer. En attendant, les pays qui, comme la France, ne disposent d’aucun moteur de croissance endogène, ne peuvent au mieux qu’espérer être tirés par le dynamisme de leurs partenaires plus dynamiques et avisés. En l’absence de changement structurel radical dans les prochains mois, la « stagnation durable » que chacun redoute pourrait bien se matérialiser. Car faute d’action publique ambitieuse, la croissance française restera molle et son économie demeurera très vulnérable aux risques et chocs exogènes. Un euro faible, conjugué à une remontée brutale des cours du pétrole et des taux d’intérêt perturberait profondément notre économie, à la fois le secteur public et le secteur privé.

Enfin, le continent asiatique a pâti du ralentissement de la croissance chinoise, lié à la transition d’une économie tournée vers l’investissement des entreprises et la demande extérieure à une économie davantage tournée vers la consommation des ménages et la demande intérieure. Ce changement est sans doute essentiel pour permettre au pays de s’assurer une croissance pérenne, quoique moins élevée que celle connue au cours des quinze dernières années. La Chine fait aujourd’hui face à de multiples incertitudes sur les nouvelles sources de sa croissance à moyen terme. Elle se trouve progressivement acculée au dilemme entre maîtriser l’inflation au prix d’une croissance insuffisante pour absorber les échéances d’une dette qui a explosé ou forcer la croissance au prix d’une inflation qui déstabilisera forcément l’économie et la société chinoise. En l’absence d’évolutions institutionnelles majeures, ses marges de manœuvre se restreindront rapidement.

Ces derniers mois, la Réserve fédérale américaine a relevé ses taux pour la première fois depuis plus de dix ans. Le Brexit a mis à jour les faiblesses politiques de la construction européenne. La Chine, davantage tournée vers son marché intérieur, a entamé une importante transition économique. Pour autant, aucun de ces événements n’a pour l’instant entraîné une quelconque panique sur les marchés financiers. Comme nous l’avons vu, l’envolée du dollar pourrait cependant constituer une menace pour les pays en développement les plus endettés et déstabiliser un système financier international encore très fragile. De même, les conséquences du Brexit ne seront réellement visibles qu’une fois le processus de sortie de l’Union européenne enclenché. La Chine, également, pourrait déstabiliser l’ensemble de l’appareil productif asiatique, voire au-delà, notamment si ce pays devait connaitre une crise financière due à la montée très forte de l’endettement et des risques de défaut.

En somme, chacune de ces régions obéit à une conjoncture et une dynamique qui lui sont propres. L’année 2017 devrait voir les destins économiques de ces différentes régions diverger significativement, avec le risque que cela ne vienne s’ajouter à la montée des populismes pour alimenter la cause du protectionnisme. En tout état de cause, une coopération entre ces trois aires, complémentaires, s’impose car elle sera le meilleur moyen de limiter l’instabilité et les risques de l’année à venir. Mais cette coopération internationale semble de plus en plus difficile à envisager quand on voit à l’œuvre toutes les forces qui poussent à une nouvelle fragmentation du monde, après vingt ans de globalisation mal maîtrisée.

Contenus suggérés