Juridique : Quand la CJUE se penche sur la distribution d'assurance
Par une décision du 29 septembre dernier (CJUE, 29 septembre 2022, aff. C-633/20), la CJUE s’est pour la première fois prononcée sur l’application de la directive (UE) 2016/97 (dite « DDA »). Le professeur Pierre-Grégoire Marly, directeur du Master de droit des assurances du Mans et expert au Club juridique du Cercle LAB, nous éclaire sur le sens et la portée de cette décision.
Quels enseignements tirez-vous de cette décision ?
A l’analyse, il y a deux niveaux de lecture. Le premier niveau est général, et nous donne à connaître la conception que la CJUE se forge de la notion européenne d’intermédiaire d’assurance au sens de le DDA comme de la DIA qui l’a précédée. En toute occurrence, cette conception est large, compte tenu du contexte et des objectifs des directives précitées dont les artisans ont souhaité qu’elles s’appliquassent largement aux divers canaux de distribution d’assurances.
Le second niveau de lecture porte plus spécialement sur l’application de la DDA au souscripteur d’une assurance collective qui propose à ses clients, en échange d’une rémunération, d’adhérer volontairement au contrat souscrit. Selon la Cour, cette activité s’apparente à de la distribution d’assurances et son auteur, pour qui la rémunération présente un « intérêt économique propre », doit être qualifié d’intermédiaire d’assurance. Précisons toutefois que dans l’espèce qui donna lieu à la question préjudicielle, les adhérents recueillaient le bénéfice de l’assurance collective au moyen d’un transfert par le souscripteur des droits aux prestations garanties. Ce dernier proposait donc aux potentiels adhérents de conclure une cession de droits, et non un contrat d’assurance. De fait, si les créances cédées découlaient bien d’un tel contrat, de celui-ci les adhérents n’étaient pas destinés à devenir parties contractantes.
Qu’importe, selon la CJUE, pourvu que l’adhésion sollicitée manifeste la volonté de son auteur d’être bénéficiaire des garanties proposées. A la question qui lui fut soumise, elle répond en ces termes : « relève de la notion d’« intermédiaire d’assurance » et, partant, de celle de « distributeur de produits d’assurance », au sens de ces dispositions, une personne morale dont l’activité consiste à proposer à ses clients d’adhérer sur une base volontaire, en contrepartie d’une rémunération qu’elle perçoit de ceux-ci, à une assurance de groupe qu’elle a préalablement souscrite auprès d’une compagnie d’assurances, cette adhésion conférant à ces clients le droit à des prestations d’assurance en cas, notamment, de maladie ou d’accident à l’étranger. »
Cette décision a-t-elle un impact en pratique ?
Il n’est pas toujours évident de déterminer si le souscripteur d’une assurance de groupe ou d’une assurance pour compte est soumis au Livre V du Code des assurances sur la distribution d’assurances. A suivre la CJUE, le critère déterminant résiderait dans la liberté du client de consentir aux garanties proposées par le souscripteur. De fait, c’est précisément ce consentement que cherche, sollicite ou accompagne le distributeur. Partant, il fait peu de doute qu’en proposant à des tiers une assurance collective à adhésion facultative, son souscripteur se livre à une activité de distribution au sens de la DDA. Au contraire, devrait échapper à cette directive le souscripteur d’une assurance de groupe à adhésion obligatoire dont les adhérents, sans exprimer leur accord, deviennent titulaires de droits directs à l’encontre de l’assureur en l’absence de sélection individuelle des risques. Autrement dit, ces adhérents vont recueillir la qualité d’assuré et bénéficier de garanties au titre d’un contrat qu’ils n’ont pas conclu. En ce sens, l’employeur qui présente à ses salariés l’assurance « complémentaire santé » souscrite à leur profit par son entreprise n’agirait pas en qualité d’intermédiaire d’assurance.
Du reste, le même raisonnement mériterait d’être suivi à propos de l’assurance pour compte que l’article L. 112-1 du Code des assurances définit comme un contrat individuel dont les garanties vont bénéficier à des tiers identifiés ou identifiables. Comme dans l’assurance collective à adhésion obligatoire, la qualité d’assuré, et donc le bénéfice des garanties, ne découlent pas du consentement des tiers concernés qui en ignorent parfois même l’existence. Il suit que le souscripteur de cette assurance ne pourrait la distribuer, faute d’avoir à solliciter ou recueillir l’accord des assurés pour en bénéficier.
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